Chiffres-clés
En 2014, le suicide a causé la mort de 8 885 personnes en France métropolitaine (3ème rapport de l’Observatoire National du Suicide, février 2018), soit près de 24 décès par jour (1 suicide toutes les heures).
Le bilan devance de loin celui de la mortalité routière qui s’est élevée, cette même année, à 3 384 victimes. Mais l’ampleur de la problématique suicidaire ne se limite pas aux décès. Chaque année, on dénombre en effet près de 200 000 tentatives de suicide.
Quant aux idées suicidaires, c’est plus d’une personne sur 25 qui est ou sera concernée au cours de sa vie.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans son rapport sur la prévention du suicide de 2014 , rappelle que « toutes les 40 secondes, une personne se suicide quelque part dans le monde et bien plus tentent de mettre fin à leurs jours. Aucune région ni aucune tranche d’âge ne sont épargnées ».
Le décès par suicide touche davantage les hommes que les femmes (3 hommes pour 1 femme). Les tentatives de suicide concernent davantage les femmes (3 femmes pour 2 hommes) avec un premier pic chez les jeunes filles entre 15 et 19 ans (en moyenne 39 pour 10 000) et un second entre 45 et 49 ans (en moyenne 27 pour 10 000). Le moyen létal utilisé pouvant expliquer ce différentiel.
Si le suicide concerne tous les âges, le taux de suicide est nettement plus élevé chez les personnes âgées, notamment chez les hommes. Pour l’année 2014, alors que le taux de décès par suicide des 15-24 ans est de 7,5 pour 100 000 hommes, c’est entre 45 et 54 ans et après 74 ans qu’il est le plus important, respectivement 33,4 et 59,4 pour 100 000 hommes. Toutefois, bien que le taux de suicide entre 15 et 24 ans soit relativement faible comparativement aux autres tranches d’âge, il n’en constitue pas moins la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans et représente 16 % des décès de cette tranche d’âge en 2014.
Parallèlement, ainsi que l’ont souligné les sociologues dans la lignée d’Émile Durkheim, d’importantes inégalités face au suicide sont à constater selon les catégories socioprofessionnelles. Parmi les professions les plus à risque, les agriculteurs comptent, entre 2010 et 2011, 296 décès enregistrés. Toutefois, alors qu’en 2010, il était constaté un excès de suicide de 20 % chez l’ensemble des hommes agriculteurs exploitants, en 2011, seuls les exploitants agricoles âgés de 45 à 54 ans présentaient un excès de mortalité par suicide significativement supérieur (de 33 %) à celui de la population générale d’âge similaire.
L’ampleur du phénomène et ses conséquences, tant à l’échelon individuel que social, appellent impérieusement à l’innovation et à l’exploration de l’ensemble des pistes utiles à sa prévention. Celle de la prévention de la contagion suicidaire est particulièrement prometteuse.
Quelques éléments de compréhension du suicide
COMMENT SURGISSENT LES IDÉES SUICIDAIRES ?
Le suicide est un sujet complexe, aux déterminants multiples. Il peut, en effet, être lié à certaines pathologies psychiatriques, en particulier la dépression, mais sans que ce lien soit systématique. Il est également révélateur de problèmes sociaux et économiques, du fait notamment du lien entre chômage, conditions de travail et suicide.
Il est de fait difficile d’identifier et de démêler les raisons qui poussent à l’acte suicidaire. Un certain nombre de facteurs ont néanmoins été mis en évidence (OMS, 2014) : des facteurs individuels (antécédents de tentative de suicide, problèmes de santé physiques ou psychiatriques, difficultés financières dues à un surendettement ou à la perte d’un emploi, traumatisme, etc.), relationnels (isolement, situation de veuvage ou de divorce, etc.) et enfin sociaux (chômage et conditions de travail) ou sociétaux (accès facilité aux moyens létaux, obstacles aux soins, couverture médiatique inappropriée du suicide, etc.). Dès lors, des facteurs de risques multiples se conjuguent : psychiatriques, somatiques, démographiques, socio-économiques et culturels et peuvent mener une personne vers une période de vulnérabilité et de déséquilibre psychique. Il importe de les prendre en compte pour appréhender le geste suicidaire en tant qu’il traduit le geste d’une personne en grande souffrance psychique et ne pas réduire le suicide à une cause unique (le facteur précipitant le geste).
LE FACTEUR PRÉCIPITANT
Le facteur précipitant peut être un événement qui semble anodin, mais c’est littéralement la goutte qui fait déborder le vase. Cet événement est perçu par la personne comme symboliquement important et significatif, d’où la détresse qui en découle. Le déséquilibre alors engendré génère une tension qui devient insupportable pour la personne. Afin de réduire rapidement cette tension, la personne va concevoir la conduite suicidaire comme un geste permettant de faire baisser cette tension. La présence constante de l’ambivalence rend toutefois l’intervention possible, ainsi, nous pouvons tous aider une personne en crise suicidaire à entrevoir d’autres alternatives que la mort. Ce processus n’est pas irréversible ; on peut sortir d’une crise suicidaire à tout moment.
L'ÉVOLUTION DE LA CRISE VERS LE SUICIDE
Le passage à l’acte suicidaire est très rarement instantané, mais évolue dans un processus que l’on peut schématiser en 5 étapes successives :
Etape 1 : La recherche de solutions pour enrayer la crise
La personne fait l’inventaire des différentes solutions possibles pour se sentir mieux et s’en sortir. Chacune de ces solutions fait l’objet d’une évaluation pour juger de sa possibilité à apporter un changement à la douleur. Certaines personnes possèdent un vaste éventail de solutions et peuvent identifier des stratégies pour résoudre rapidement la crise. Pour d’autres personnes, l’éventail des solutions est plus réduit ou diminue parce que les solutions ne répondent pas aux besoins présents. À ce stade, l’idée du suicide n’a pas encore été envisagée ou très peu.
Etape 2 : Le flash suicidaire et l’apparition d’idées suicidaires
Au cours de la recherche de solution et au fur et à mesure que certaines solutions s’avèrent inefficaces, il arrive que la personne considère le suicide comme une des solutions susceptibles d’éliminer la souffrance. Le suicide revient régulièrement comme une solution et l’on s’y attarde chaque fois un peu plus longtemps, élaborant toujours un peu plus les scénarios possibles.
Etape 3 : La rumination de l’idée suicidaire
L’inconfort devient de plus en plus difficile à supporter et le désir d’y échapper s’intensifie. L’incapacité à résoudre la crise et le sentiment d’avoir épuisé les possibilités de solutions provoquent une grande angoisse. L’idée suicidaire revient constamment et régulièrement, elle engendre tourment et angoisse attisant la souffrance et la douleur.
Etape 4 : La cristallisation et l’élaboration d’un scénario suicidaire
La personne est submergée par le désespoir. C’est le moment où le suicide apparaît à la personne comme la seule solution susceptible de mettre fin à son désarroi et à sa souffrance. Parvenu à ce stade, il y a généralement élaboration d’un plan précis, soit la date, l’heure, le moyen, le lieu.
Etape 5 : L’élément déclencheur et le passage à l’acte
Cet événement est souvent la goutte qui fait déborder le vase et il survient au terme d’une longue série de pertes et d’échecs.
PRÉVENIR LE SUICIDE
Le suicide est, par ailleurs, un phénomène évitable en partie par la prévention. La littérature identifie la réduction de l’accès aux moyens létaux comme l’une de ces mesures. D’autres existent, comme le maintien du contact avec les personnes ayant été hospitalisées pour une tentative de suicide (en France, c’est le dispositif VigilanS) ou la prévention communautaire faisant intervenir un grand nombre d’acteurs de divers secteurs (de l’éducation, de la santé, de la justice, de la police, de la protection de l’enfance, des services sociaux…).
Il est de plus en plus admis que les médias jouent également un rôle important soit en renforçant ou en affaiblissant les efforts de prévention du suicide. En effet, la couverture médiatique d’un suicide est susceptible d’inciter certaines personnes vulnérables à passer à l’acte par imitation ou au contraire à minimiser ce comportement imitatif. Tout comme les médias peuvent diffuser une information éducative utile à la prévention du suicide ou au contraire, répandre de la désinformation à ce sujet.
Quels sont les mécanismes de contagion ?
Un premier écueil serait de penser qu’il existe une cause unique au suicide. On sait, sans plus pouvoir en douter, que le suicide procède d’une multitude de facteurs individuels d’ordre psychologique et/ou psychiatrique en même temps que de facteurs sociaux et sociétaux. Mais comment comprendre que certains lycées, certaines entreprises, certains corps de métier s’endeuillent à répétition de morts qui en viennent à se ressembler ?
Le phénomène de contagion à craindre après chaque suicide contribue à l’entretien d’un cercle vicieux qui leste la morbi-mortalité suicidaire. Comme en atteste la littérature scientifique, les personnes exposées directement ou indirectement à un événement suicidaire sont elles-mêmes plus à risque de souffrir d’idées de mort, voire de passer à l’acte. Il en découle la survenue « d’épidémies », soit que les suicides se succèdent de façon localisée dans les institutions (hôpitaux, entreprises, écoles, etc.) ou sur les hot-spots (ponts, falaises, forêts, etc.), soit qu’ils se multiplient sur tout le territoire sous l’influence des médias ou des réseaux sociaux.
La notion de la contagion ouvre une voie de compréhension qui éclaire sans la réduire la complexité du geste suicidaire. Mobilisant la psychologie, la sociologie et les sciences de la communication, elle postule le rôle central de l’identification comme lien social fondamental. Lorsque l’identification est mise à l’épreuve du suicide, elle risque de conduire les plus vulnérables à l’imitation du geste fatal ou au contraire elle est le socle de l’entraide, du souci de l’autre et de l’accès au soin.
Publications scientifiques
- C-E Notredame, P Grandgenèvre, N Pauwels, M Morgiève, M Wathelet, G Vaiva, M Séguin. Leveraging the Web and Social Media to Promote Access to Care Among Suicidal Individuals, Frontiers in Psychology. 2018 ; volume 9 article 1338
- Notredame CE., Grandgenèvre P., Vaiva G., Séguin M. At least one reason more why ? European Child & Adolescent Psychiatry. Publish on line : 25 july 2017
- « L’effet Papageno pour prévenir la contagion suicidaire », entretien avec Notredame C.E., propos recueillis par Granger B., revue PSN (psychiatrie, sciences humaines, neurosciences) 2017/1 (volume 15), 21-27. La question des iconoblastes à Notredame C.E., revue PSN (psychiatrie, sciences humaines, neurosciences) 2017/1 (volume 15), 97-101
- Notredame C.E., Pauwels N., Vaiva G., Danel T., Walter M. Peut-on faire du journaliste un acteur de prévention du suicide ? Encéphale 2016
- Notredame C.E., Pauwels N., Walter M., Danel T., Vaiva G. Le traitement médiatique du suicide : du constat épidémiologique aux pistes de prévention. La presse médicale, 2015 ; 44 : 1243-1250
- Prévention du suicide : les médias à la Une et Suicide et médias sur le plan international : un groupe de travail spécifique au sein de l’IASP, La lettre du psychiatre, décembre 2015