L’impact de la représentation d’un suicide dans une fiction
La représentation du suicide dans les drames télévisés, les films et le théâtre est largement répandue au niveau international. Elle a d’ailleurs évolué avec le temps : la description de l'acte de suicide devient de plus en plus longue, plus scénarisée et plus sensationnaliste. Les représentations sont également plus susceptibles de comporter des scènes de suicide par arme à feu ou ont tendance à être davantage romancées, glorifiées et banalisées. Les jeunes sont aussi surreprésentés dans les fictions présentant des scènes de suicide.
Des preuves scientifiques suggèrent cependant que cette représentation dramatique peut avoir un impact sur les publics vulnérables, notamment par une augmentation du nombre de suicides par effet d’imitation ou au contraire une réduction de passage à l’acte par la recherche de soutien approprié.
Till (Till, 2013 ; Till, 2015) a en effet montré que les spectateurs de films présentant des scènes de suicides étaient significativement plus tristes et plus déprimés après la visualisation. L’humeur était significativement plus basse sur les échelles de dépression. De plus, ceux qui exprimaient une suicidalité plus élevée que la moyenne avant le film présentaient une suicidalité encore plus importante ensuite. Cette dynamique est possiblement en lien avec la notion de « coupure émotionnelle » peu efficace, sans mise à distance, chez les personnes préalablement suicidaires et placées face à une situation dramatique.
Ces recherches suggèrent un lien par effet d’imitation des représentations de suicide sur le comportement suicidaire réel des spectateurs. La majorité des études ont démontré que les taux de suicide aboutis et de tentatives de suicide montent en flèche après diffusion de ces fictions. Cependant, la plupart des études dans ce domaine ont davantage mis l’accent sur le risque de contagion plutôt que sur l’effet préventif. Il faut en effet rappeler que la littérature concernant la couverture médiatique du suicide est bien moins consensuelle pour les fictions qu’en ce qui concerne les fait divers réels. Certes, il existe quelques exemples de séries télévisuelles dont la diffusion a été associée à un effet incitatif. En Allemagne, les taux de mortalité par suicide chez les adolescents et les jeunes adultes ont connu une augmentation significative dans les deux mois qui ont suivi la diffusion de la série « Mort d’un étudiant ». Cette recrudescence concernait surtout les suicides sur les rails, tels que celui dépeint dans la fiction (Ostroff RB, Behrends RW, Lee K, Oliphant J. Adolescent suicides modeled after television movie. Am J Psychiatry. 1985 Aug;142(8):989.). En Grande-Bretagne, après qu’un célèbre soap opéra britannique a diffusé la tentative de suicide médicamenteuse de l’un de ses personnages, le nombre d’ingestions médicamenteuses volontaires a subséquemment augmenté dans lapopulation (Sandler D, Connell P, Welsh K, Daniels RG. Emotional crises imitating television. The Lancet. 1986 ; 327(8485) : 856.). Toutefois, il faut également reconnaître qu’au regard de l’abondance des Media effect studies, ces exemples demeurent particulièrement rares. Le domaine d’étude qui s’intéresse aux conséquences de la diffusion d’un suicide fictif reste encore pauvre et souffre d’un manque de rigueur méthodologique (Pirkis J, Blood RW. Suicide and the news and information media. A critical review. Mind Frame Media. 2010 Feb). À titre d’exemple, toutes les études aujourd’hui disponibles en la matière sont menées à l’échelle populationnelle. Aucune n’est donc en mesure d’établir un lien formel entre l’exposition des jeunes au film, à la série ou à la pièce de théâtre et leurs passages à l’acte. Par ailleurs, les hypothèses de recherches tendent à considérer l’effet de contagion comme un processus univoque. Aucune étude ne s’est donc non plus intéressée au potentiel effet de promotion du recours aux soins qu’auraient pu avoir en parallèle les fictions en question.
La parution de la série « 13 reasons why » en 2016 a d’ailleurs réactivé ce débat.A la suite de la diffusion de la série, les mots-clefs portant sur le mot « suicide », recherchés sur différents moteurs de recherche, ont en effet statistiquement augmentés. L’inquiétude est montée au point qu’un appel à la nécessaire « démonstration impérative par les producteurs d’une prise de responsabilité éthique et sociale » a été réclamée par des acteurs de la prévention (Ayers, 2017). Cependant, les recherches sur internet portant sur le mot « prévention du suicide » ont également statistiquement augmenté. C’est dire le paradoxe. Certes, de nombreux critères favorisant une potentielle identification des spectateurs à l’héroïne principale sont retrouvés (narration sous forme de journal intime, âge et problématiques similaires, etc.). Rien n’indique pourtant que la tension induite pourrait provoquer l’adoption d’idées suicidaires : au contraire, de multiples paramètres peuvent être relevés, au fil de la série, qui indiquent combien le personnage aurait voulu échapper à cette trajectoire (par exemple, l’aide souhaitée par ses proches). Pour mettre un terme à cette polémique, les producteurs ont inséré des ressources d’aide téléphonique dans chaque épisode de la seconde saison. Pour toutes ces raisons évoquées, les scientifiques de la prévention du suicide ont émis quelques recommandations aux auteurs de fiction inspirées de celles de l’Organisation Mondiale de la Santé à destination des médias de masse : ne pas glorifier le suicide, ni le romancer, de ne pas fournir de détails visuels ni de mentionner explicitement la méthode utilisée. Il conviendrait plutôt de décrire les conséquences sur l’entourage et de fournir une source d’aide pour les spectateurs vulnérables.
Recommandations pour les auteurs de fiction
Le suicide est un problème de santé publique majeur en France, avec près de 10000 morts chaque année soit 3 fois plus que les décès par accidents de la route. Pendant longtemps, les préconisations allaient donc dans le sens de la mise sous silence et le suicide est devenu un sujet de discussion tabou. Les spécialistes internationaux de la prévention sont aujourd’hui formels : passer le suicide sous silence conduit à faire paradoxalement entrave à toute possibilité de prévention, à entretenir la culpabilité, la honte, les idées reçues et la stigmatisation qui isolent les personnes suicidaires et leurs proches. Il faut parler du suicide. En parler certes mais avec les bons mots. Représenter le suicide dans une fiction peut avoir un impact sur les publics vulnérables, entraînant une augmentation des taux de tentatives de suicide ou de décès. Mais cela peut aussi engendrer un effet préventif.
Lors de l’écriture d’un scénario pouvant inclure le suicide, vous pouvez vous demander : Pourquoi j’introduis le suicide dans l’histoire ? Est-ce nécessaire ? Est-ce pour finaliser mon scénario ou pour explorer la question d’un point de vue personnel ? N’oubliez pas que les représentations de suicide peuvent fragiliser les spectateurs vulnérables. Considérez que les personnes qui ont perdu un proche par suicide sont elles-mêmes vulnérables à la pensée suicidaire et peuvent également être affectées par l’histoire.
LE SUICIDE DOIT-IL ÊTRE DÉCRIT ?
Moins de détails pourraient-ils avoir un meilleur effet dramatique qu’une représentation explicite ? Des descriptions détaillées de méthodes spécifiques de suicide ont été associées à des « suicides par imitation » de cette même méthode. S’il est nécessaire de la décrire, considérez la longueur de la représentation et l’impact que cela peut avoir sur les spectateurs vulnérables ou les personnes suicidaires.
EST-CE QUE MA DESCRIPTION DU SUICIDE PEUT ÊTRE INTERPRÉTÉE À TORT COMME UNE SOLUTION À UN PROBLÈME ?
EST-CE QUE LA MUSIQUE, L’ÉCLAIRAGE OU LE DÉCOR ROMANCENT OU GLAMOURISENT LE SUICIDE ?
COMMENT PUIS-JE EXPLORER LE PROBLÈME AVEC PLUS DE PROFONDEUR ?
Comprendre les causes ou les facteurs de risque de suicide peut en améliorer votre représentation et donner davantage de crédit à votre scénario. Montrer l’impact du suicide sur d’autres personnages – tels que la famille, les amis, les collègues et la communauté entière – peut placer la mort dans un contexte plus large de tragédie et de perte.
AI-JE VÉRIFIÉ L’EXACTITUDE ET L’AUTHENTICITÉ DE MA REPRÉSENTATION ?
Il existe de nombreux mythes et idées fausses sur le suicide et le risque suicidaire. Il est important d’avoir accès à des informations fiables et à des opinions d’experts sur l’actualité en matière de suicide et de facteurs de risque.Avec beaucoup de précautions, considérez l’intérêt de parler aux personnes directement touchées par le suicide lors de l’élaboration de votre scénario.
PUIS-JE ENCOURAGER LES PERSONNES EN DÉTRESSE À DEMANDER DE L’AIDE ?
Les représentations mettant l’accent sur les conséquences sur l’entourage et le soutien qu’il est possible de recevoir peuvent encourager les personnes vulnérables à demander de l’aide.Inclure un numéro de téléphone à la fin d’un film ou dans le cadre d’une pièce dramatique fournit un soutien immédiat aux personnes en détresse.
AI-JE DES CONTACTS PROFESSIONNELS À TRANSMETTRE AUX ACTEURS AMENÉS À JOUER UN DRAME FICTIF METTANT EN SCÈNE UN SUICIDE ?
Pourquoi indiquer où trouver de l’aide ?
L’effet Papageno se manifeste lorsque la médiatisation d’un suicide a un effet de prévention.
Une étude portant sur les reportages réalisés à la suite des suicides de Daron Richardson et de Jamie Hubley à Ottawa en 2010 et 2011 (1), relate une augmentation importante du nombre de visites à l’urgence pédiatrique locale pour des troubles de santé mentale, dans les 28 et 90 jours qui ont suivi les suicides de Daron et Jamie, comparativement aux mêmes dates dans les années précédentes. Bien que cette étude ait constaté une importante hausse du taux de visites à l’urgence pédiatrique locale pour des troubles de santé mentale à la suite de ces deux suicides médiatisés, elle n’observe aucune différence quant à la gravité des symptômes de maladie mentale ou des tendances suicidaires dans le cadre de ces consultations. Ceci suggère que l’attention médiatique a peut-être mis en lumière les problématiques de santé mentale au sein de la communauté sans pour autant que les jeunes ne pensent davantage au suicide.
L’étude relève également que la couverture médiatique a été faite, dans l’ensemble, avec délicatesse. Les articles étaient aussi accompagnés d’une liste de ressources auxquelles les jeunes en détresse pouvaient s’adresser pour obtenir de l’aide. Les personnes interviewées offraient de l’information sur la prévention du suicide, notamment les signes avant-coureurs, les ressources à contacter, les gestes à poser et l’aide à apporter. Car le simple fait de parler de suicide n’entraîne pas d’autres suicides. Par contre, un accès en temps opportun à du soutien et à des ressources de soin peut sauver des vies.
En d’autres termes, les médias peuvent jouer un rôle actif dans la prévention du suicide en publiant les recours existants (que ce soit des services de santé, de santé mentale, d’assistance téléphonique…).
Des informations sur les différents dispositifs d’aide devraient donc figurer à la fin de chaque article traitant du suicide. Ces dispositifs dépendront du contexte, mais ils pourraient inclure le médecin généraliste, des professionnels de santé mentale ainsi que des lignes téléphoniques d’assistance agréées en prévention du suicide ou le 15 (disponible 24h/24, 7 j/7).
Citer ces dispositifs d’aide ouvre la voie à un soutien immédiat aux personnes en détresse ou qui envisageraient de se suicider.
4 mythes autour du suicide
Comme pour la plupart des sujets sensibles, la question ne serait pas tant « Faut-il parler du suicide ? », mais plutôt « Comment bien parler du suicide ? ».
Bien parler du suicide, c’est tout simplement le faire dans un souci de précision et d’exactitude. C’est s’atteler à soigneusement déconstruire les mythes qui l’entourent très fréquemment en refusant de les alimenter. De ces multiples mythes, 4 grands thèmes se dégagent régulièrement. Au journaliste, au blogueur, au professionnel de la prévention du suicide ou à toute personne qui devra un jour traiter du sujet, ce document pourra servir de source minimale à une information juste.
MYTHE 1 : AVOIR DES IDÉES SUICIDAIRES OU FAIRE UNE TENTATIVE DE SUICIDE, C’EST ANODIN
« Ma femme parlait tout le temps de se suicider. Je pensais qu’elle disait ça pour qu’on la remarque, qu’on fasse attention à elle. Je pensais que c’était sa façon d’attirer l’attention sur elle. Je n’ai jamais cru qu’elle parlait sérieusement. »
Pascal, 40 ans
RÉALITÉ
Avoir envie de mourir, avoir des pensées suicidaires est quelque chose de fréquent. Face à une même situation, chacun réagit de façon différente et des évènements de vie difficile (chômage, violence, deuil, traumatisme…) n’amènent pas obligatoirement à penser au suicide. On peut traverser de nombreuses épreuves sans jamais avoir d’idées suicidaires. Leur présence n’est donc jamais banale, normale. Il est indispensable de toujours prendre au sérieux la présence d’idées suicidaires.
Toutes les personnes qui ont des idées suicidaires ne passeront pas à l’acte mais il ne faut pas pour autant banaliser leur existence. Elles doivent, au contraire, bénéficier d’une écoute et d’une aide médicale adaptée.
Une personne qui parle facilement de ses idées suicidaires n’a pas moins de risque de passer à l’acte. Souvent, dans le cas d’un suicide, un proche de l’entourage familial ou amical, un médecin, un professeur, un collègue, avait été le confident du projet suicidaire.
Les raisons qui poussent quelqu’un à se suicider sont multiples. Il est important de ne pas préjuger de la gravité ou de la sincérité des idées suicidaires.
La dangerosité apparemment faible de certaines tentatives de suicide ne doit pas amener à les banaliser. Il est faux de penser qu’une tentative de suicide est faite pour attirer l’attention sur soi ou exercer sur l’entourage un quelconque chantage. Tenter de se suicider c’est chercher à mourir. De plus, la répétition des tentatives de suicide chez une personne ne doit pas amener à banaliser la présence d’idées suicidaires. Une personne qui a déjà fait des tentatives de suicide est plus à risque de tenter de se suicider à nouveau. Ce qui compte c’est la représentation du geste pour la personne, la détermination qu’elle avait au moment de le réaliser. Il n’existe pas de « petites » ou de « fausses » tentatives de suicide. La gravité d’un geste suicidaire n’est pas déterminée uniquement par la dangerosité du moyen utilisé.
MYTHE 2 : ON NE PEUT PAS PRÉVOIR
« Mon fils allait moins bien depuis quelques mois, il s’isolait beaucoup, n’allait plus à son entraînement de foot. Ce qui aurait dû m’alerter, c’est qu’il m’a dit à plusieurs reprises qu’il était un fardeau pour tout le monde… À ce moment là, je n’imaginais pas que cela pouvait être aussi sérieux… »
Claude, 73 ans
RÉALITÉ
Par la violence et la charge émotionnelle qui l’entourent, le suicide apparaît souvent comme un acte désespéré, incompréhensible, que rien ne pouvait laisser prévoir. Pourtant, il n’y a pas de suicide qui ne soit précédé, depuis plus ou moins longtemps, d’une souffrance intense ou d’une altération du fonctionnement de la personne. La crise suicidaire est un moment de délibération entre la mort, progressivement perçue comme seul moyen d’échapper à une situation insupportable, et la perspective, progressivement restreinte, d’une vie différente. Comme il s’agit bien d’une mise en balance plus que d’un souhait ferme et définitif de mourir, cette délibération s’accompagne le plus souvent d’appels à l’aide ou d’interpellations plus ou moins explicites. On estime ainsi que 80% des personnes qui se sont suicidées ont consulté leur médecin traitant dans la semaine précédant leur mort.
Il arrive que les personnes évoquent clairement leurs idées suicidaires, que ce soit à leurs proches, à leur médecin, ou même parfois sans que cela soit adressé (journal intime, lettre,…).
Quelque soit le ton sur lequel ces idées sont évoquées, elles sont toujours à prendre au sérieux et justifient une consultation rapide avec un professionnel.
Parfois, les propos sont plus indirects ou allusifs. Ainsi, des phrases telles que « Je n’en peux plus de cette vie là » ou « Vous seriez plus tranquilles sans moi », sont à prendre tout à fait au sérieux. Ils témoignent souvent de l’ambivalence de la personne en souffrance qui souhaite interpeller sans pour autant inquiéter ou être un fardeau pour son entourage (pensée fréquente pendant les crises suicidaires).
Enfin, d’autres signes, plus indirects encore, peuvent laisser suspecter un risque de passage à l’acte suicidaire. Certains de ces signes témoignent de la situation de crise et de souffrance intense dans laquelle se trouve la personne. C’est d’ailleurs surtout l’idée d’une rupture, d’un changement avec le comportement habituel qui doit interpeller : isolement, abandon des activités habituelles, irritabilité, repli… Parfois, au contraire, une jovialité ou une apparente sérénité, dénotant par leur caractère inhabituel, peuvent résulter d’une tentative de « faire bonne figure » ou d’un soulagement que procure le fait d’avoir arrêté la décision de se suicider. D’autres indices peuvent être liés au projet suicidaire en lui même et à ses préparatifs. La personne pourra ainsi laisser une lettre d’adieu, faire de dons ou des lègues, confier son animal de compagnie à un tiers…
Dans tous les cas, dès lors qu’elles sont suspectées, la question des idées suicidaires peut être très clairement et très simplement posée. Les experts s’accordent sur le fait que demander à quelqu’un « Avez-vous envie de mourir ? » ou « Avez-vous des idées suicidaires ? » n’incitera pas la personne à passer à l’acte. Cela permettra au contraire d’orienter, d’offrir un certain soulagement à la personne qui n’aura pas osé en parler auparavant et à lui proposer de rencontrer un professionnel au plus vite.
MYTHE 3 : IL EXISTE UNE CAUSE UNIQUE ET FACILEMENT IDENTIFIABLE
« Il pense que j’ai tenté de mettre fin à mes jours pour qu’il revienne après que nous nous soyons séparés. Mais c’est beaucoup plus compliqué que ça. Aussi loin que je me souvienne, c’est compliqué. »
Adja, 37 ans
RÉALITÉ
Les processus pouvant amener un individu au passage à l’acte suicidaire sont nombreux et complexes. Il n’existe pas une seule et unique cause facilement identifiable au suicide.
Le risque de suicide ne peut pas être détecté par des examens médicaux simples comme une prise de sang, une radiographie, une imagerie cérébrale, comme cela peut être le cas par exemple pour un cancer ou un diabète. C’est lors d’une évaluation psychiatrique avec un médecin que l’on pourra estimer la gravité des idées suicidaires d’une personne ainsi que les facteurs pouvant entrainer un passage à l’acte suicidaire. Il n’y a pas de diagnostic de suicide, mais une évaluation qui repose sur une probabilité statistique et il est impossible d’établir un « portrait robot » de la personne suicidaire. C’est devant un faisceau d’arguments que le risque suicidaire pourra être évalué et non pas devant un simple événement de vie négatif, tels qu’une rupture sentimentale ou une perte d’emploi. Le suicide ne peut donc pas seulement être attribué à un évènement de vie négatif qui serait survenu quelques jours ou semaines
avant le passage à l’acte.
Certains facteurs de risque ont pu être identifiés. Citons-en quelques uns :
• Les pathologies mentales telles que la dépression ou l’abus de substances (l’alcool, le cannabis ou la cocaïne), sont des facteurs de risque majeur. Cela ne veut pas dire que tous les patients dépressifs vont se suicider ni que tous les suicidés auraient pu être diagnostiqués « dépressifs » avant leur passage à l’acte. Cela signifie simplement qu’avoir une dépression ou qu’être dépendant à l’alcool ou aux drogues augmente le risque de passage à l’acte suicidaire.
• Il a également été démontré l’existence d’une possible vulnérabilité familiale aux tentatives de suicide et aux suicides, en effet, le fait d’avoir un parent qui s’est suicidé augmente le risque suicidaire dans la famille.
• Les facteurs démographiques, culturels et socio-économiques doivent également être pris en compte : sexe, âge, situation familiale, préférence sexuelle, activité, niveau d’étude, niveau de revenus, religion…
Les évènements de vie difficiles tels qu’une perte d’emploi ou une rupture ne sont en général que des facteurs précipitant, et c’est l’intrication de facteurs de risque à des facteurs précipitant qui peut aboutir au passage à l’acte suicidaire. Les comportements suicidaires sont donc multi-déterminés, et l’absence d’un groupe à risque unique et facilement identifiable pouvant expliquer la majorité des suicides fait en sorte qu’il est nécessaire d’avoir des programmes diversifiés en vue de prévenir le suicide.
MYTHE 4 : ON NE PEUT RIEN FAIRE
« Je sentais qu’elle n’allait pas bien mais je n’ai pas osé lui demander. J’avais peur que ça lui donne des idées, que ça la pousse à se tuer… Et si elle s’était livrée à moi, qu’aurais-je pu lui dire ? Elle n’a pas eu besoin de ça, elle s’est suicidée. »
Maëlis, 17 ans
RÉALITÉ
Le suicide a longtemps fait, et fait encore l’objet de représentations à connotations morales opposées. Certains le perçoivent comme un acte résolu et courageux pour dépasser les difficultés de la vie (maladie, vieillissement, perte de proches, rupture sentimentale, divorce, etc.). De ce point de vue, il n’y aurait rien à faire face au suicide, car il résulterait d’une décision ferme à respecter. D’autres le perçoivent comme un acte honteux, amoral. Ces représentations peuvent expliquer qu’il est difficile, pour une personne suicidaire, de parler de son envie de se donner la mort. De la même manière de nombreuses personnes ne se sentent pas capables ou légitimes pour aider une personne en détresse.
En outre, si la question du suicide dérange, la difficulté à en parler est d’autant plus importante qu’il existe une idée communément répandue selon laquelle interroger quelqu’un sur ses idées suicidaire l’inciterait à passer à l’acte. En d’autres termes, parler du suicide entraînerait la mort.
Pourtant, au delà du jugement moral, le suicide peut être considéré comme résultant d’une grande souffrance. En effet, la personne suicidaire se trouve généralement dans un tourbillon où la rigidité psychique et le désespoir empêchent toute pensée rationnelle et guident la personne vers une seule solution qui est de se donner la mort. De multiples contraintes, anciennes ou intercurrentes, poussent la personne, non pas à prendre la décision, mais bien à être contraint au choix forcé (ou non choix) de se donner la mort.
Dans cette perspective, on peut en parler pour aider. La personne suicidaire se sentira le plus souvent soulagée d’être écoutée, entendue et il sera possible de l’orienter au mieux vers les professionnels de santé capables de conduire une prise en charge adaptée.
Il existe de nombreux professionnels à qui s’adresser lorsqu’on découvre que l’un de ses proches a des idées suicidaires, ou que l’on en a soi même. Au sein des Centres hospitaliers de la plupart des villes, il existe des consultations d’urgences générales ou psychiatriques où il est possible de rencontrer un psychiatre ou un infirmier 24h sur 24h. Il existe également des lignes d’écoute téléphoniques qui peuvent permettre de soutenir une personne en souffrance. D’autres structures, tels que les Centres médico-psychologiques, les Centres de crise… peuvent également aider toute personne en souffrance à passer un cap afin d’éviter un passage à l’acte suicidaire.
Ainsi devant une personne en crise suicidaire, en parler est la première étape, orienter au mieux et au plus vite est la seconde étape. Une personne en crise suicidaire peut être aidée. Dans la majorité des cas, avec une prise en charge adaptée, les idées suicidaires cèdent et ne réapparaissent plus.
Rédacteurs : Olivia Barasino, Victoire Bénard, Marion Brossard, Anne Creton, Damien Galland, Axelle Gharib, Charles-Edouard Notredame et Anaïs Vaglio.
Un réseau français de suicidologues
Le programme Papageno est soutenu par le Groupement d’études et de prévention du suicide (Geps), société savante en suicidologie française et la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale (F2RSM Psy) Hauts-de-France. Dans chaque région, un référent est disposé à vous apporter des informations s’agissant de la problématique du suicide.
En effet, les professionnels – qu’ils soient journalistes, contributeurs du web ou membres d’une institution – devraient se référer à des sources d’information fiables et à des statistiques validées lorsqu’ils ont à traiter du suicide. Dans de nombreux pays, des agences de statistiques gouvernementales fournissent des données sur les taux annuels de suicide, souvent classés par âge et par sexe. En France, il s’agit du CépiDc, Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès. Par ailleurs, les États Membres rendent à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) leurs données concernant la mortalité (y compris sur le suicide).
Il est donc préconisé de se rapprocher d’experts chaque fois que cela s’avère possible. Ces experts peuvent aider à dissiper certaines idées reçues à propos du suicide. Ils peuvent également donner des conseils sur la prévention du suicide en général, et, plus spécifiquement, informer sur la gestion des facteurs de risque.
Si vous êtes à la recherche d’une personne-ressource dans votre département, n’hésitez pas à nous contacter.
Le vif du sujet
Sur des sujets en lien avec l'actualité, l'équipe du programme Papageno prend la plume afin d'offrir son point de vue. Engagés dans la prévention de la contagion suicidaire, les auteurs proposent des pistes de réflexion et d'intervention stratégiques.
Découvrez :
le vif du sujet #2 : le point de vue de Papageno sur une ligne d’appel dédiée à la prévention du suicide (parution février 2018)
le vif du sujet #1 : le point de vue de Papageno sur la série « 13 raisons de »