Chiffres-clés
En 2014, le suicide a causé la mort de 8885 personnes en France métropolitaine (3ème rapport de l’Observatoire National du Suicide, février 2018), soit près de 24 décès par jour (1 suicide toutes les heures).
Le bilan devance de loin celui de la mortalité routière qui s’est élevée, cette même année, à 3 384 victimes. Mais l’ampleur de la problématique suicidaire ne se limite pas aux décès. Chaque année, on dénombre en effet près de 200000 tentatives de suicide.
Quant aux idées suicidaires, c’est plus d’une personne sur 25 qui est ou sera concernée au cours de sa vie.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans son rapport sur la prévention du suicide de 2014 , rappelle que « toutes les 40 secondes, une personne se suicide quelque part dans le monde et bien plus tentent de mettre fin à leurs jours. Aucune région ni aucune tranche d’âge ne sont épargnées ».
Le décès par suicide touche davantage les hommes que les femmes (3 hommes pour 1 femme). Les tentatives de suicide concernent davantage les femmes (3 femmes pour 2 hommes) avec un premier pic chez les jeunes filles entre 15 et 19 ans (en moyenne 39 pour 10 000) et un second entre 45 et 49 ans (en moyenne 27 pour 10 000). Le moyen létal utilisé pouvant expliquer ce différentiel.
Si le suicide concerne tous les âges, le taux de suicide est nettement plus élevé chez les personnes âgées, notamment chez les hommes. Pour l’année 2014, alors que le taux de décès par suicide des 15-24 ans est de 7,5 pour 100 000 hommes, c’est entre 45 et 54 ans et après 74 ans qu’il est le plus important, respectivement 33,4 et 59,4 pour 100 000 hommes. Toutefois, bien que le taux de suicide entre 15 et 24 ans soit relativement faible comparativement aux autres tranches d’âge, il n’en constitue pas moins la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans et représente 16 % des décès de cette tranche d’âge en 2014.
Parallèlement, ainsi que l’ont souligné les sociologues dans la lignée d’Émile Durkheim, d’importantes inégalités face au suicide sont à constater selon les catégories socioprofessionnelles. Parmi les professions les plus à risque, les agriculteurs comptent, entre 2010 et 2011, 296 décès enregistrés. Toutefois, alors qu’en 2010, il était constaté un excès de suicide de 20 % chez l’ensemble des hommes agriculteurs exploitants, en 2011, seuls les exploitants agricoles âgés de 45 à 54 ans présentaient un excès de mortalité par suicide significativement supérieur (de 33 %) à celui de la population générale d’âge similaire.
L’ampleur du phénomène et ses conséquences, tant à l’échelon individuel que social, appellent impérieusement à l’innovation et à l’exploration de l’ensemble des pistes utiles à sa prévention. Celle de la prévention de la contagion suicidaire est particulièrement prometteuse.
Quelques éléments de compréhension du suicide
COMMENT SURGISSENT LES IDÉES SUICIDAIRES ?
Le suicide est un sujet complexe, aux déterminants multiples. Il peut, en effet, être lié à certaines pathologies psychiatriques, en particulier la dépression, mais sans que ce lien soit systématique. Il est également révélateur de problèmes sociaux et économiques, du fait notamment du lien entre chômage, conditions de travail et suicide.
Il est de fait difficile d’identifier et de démêler les raisons qui poussent à l’acte suicidaire. Un certain nombre de facteurs ont néanmoins été mis en évidence (OMS, 2014) : des facteurs individuels (antécédents de tentative de suicide, problèmes de santé physiques ou psychiatriques, difficultés financières dues à un surendettement ou à la perte d’un emploi, traumatisme, etc.), relationnels (isolement, situation de veuvage ou de divorce, etc.) et enfin sociaux (chômage et conditions de travail) ou sociétaux (accès facilité aux moyens létaux, obstacles aux soins, couverture médiatique inappropriée du suicide, etc.). Dès lors, des facteurs de risques multiples se conjuguent : psychiatriques, somatiques, démographiques, socio-économiques et culturels et peuvent mener une personne vers une période de vulnérabilité et de déséquilibre psychique. Il importe de les prendre en compte pour appréhender le geste suicidaire en tant qu’il traduit le geste d’une personne en grande souffrance psychique et ne pas réduire le suicide à une cause unique (le facteur précipitant le geste).
LE FACTEUR PRÉCIPITANT
Le facteur précipitant peut être un événement qui semble anodin, mais c’est littéralement la goutte qui fait déborder le vase. Cet événement est perçu par la personne comme symboliquement important et significatif, d’où la détresse qui en découle. Le déséquilibre alors engendré génère une tension qui devient insupportable pour la personne. Afin de réduire rapidement cette tension, la personne va concevoir la conduite suicidaire comme un geste permettant de faire baisser cette tension. La présence constante de l’ambivalence rend toutefois l’intervention possible, ainsi, nous pouvons tous aider une personne en crise suicidaire à entrevoir d’autres alternatives que la mort. Ce processus n’est pas irréversible ; on peut sortir d’une crise suicidaire à tout moment.
L'ÉVOLUTION DE LA CRISE VERS LE SUICIDE
Le passage à l’acte suicidaire est très rarement instantané, mais évolue dans un processus que l’on peut schématiser en 5 étapes successives :
Etape 1 : La recherche de solutions pour enrayer la crise
La personne fait l’inventaire des différentes solutions possibles pour se sentir mieux et s’en sortir. Chacune de ces solutions fait l’objet d’une évaluation pour juger de sa possibilité à apporter un changement à la douleur. Certaines personnes possèdent un vaste éventail de solutions et peuvent identifier des stratégies pour résoudre rapidement la crise. Pour d’autres personnes, l’éventail des solutions est plus réduit ou diminue parce que les solutions ne répondent pas aux besoins présents. À ce stade, l’idée du suicide n’a pas encore été envisagée ou très peu.
Etape 2 : Le flash suicidaire et l’apparition d’idées suicidaires
Au cours de la recherche de solution et au fur et à mesure que certaines solutions s’avèrent inefficaces, il arrive que la personne considère le suicide comme une des solutions susceptibles d’éliminer la souffrance. Le suicide revient régulièrement comme une solution et l’on s’y attarde chaque fois un peu plus longtemps, élaborant toujours un peu plus les scénarios possibles.
Etape 3 : La rumination de l’idée suicidaire
L’inconfort devient de plus en plus difficile à supporter et le désir d’y échapper s’intensifie. L’incapacité à résoudre la crise et le sentiment d’avoir épuisé les possibilités de solutions provoquent une grande angoisse. L’idée suicidaire revient constamment et régulièrement, elle engendre tourment et angoisse attisant la souffrance et la douleur.
Etape 4 : La cristallisation et l’élaboration d’un scénario suicidaire
La personne est submergée par le désespoir. C’est le moment où le suicide apparaît à la personne comme la seule solution susceptible de mettre fin à son désarroi et à sa souffrance. Parvenu à ce stade, il y a généralement élaboration d’un plan précis, soit la date, l’heure, le moyen, le lieu.
Etape 5 : L’élément déclencheur et le passage à l’acte
Cet événement est souvent la goutte qui fait déborder le vase et il survient au terme d’une longue série de pertes et d’échecs.
PRÉVENIR LE SUICIDE
Le suicide est, par ailleurs, un phénomène évitable en partie par la prévention. La littérature identifie la réduction de l’accès aux moyens létaux comme l’une de ces mesures. D’autres existent, comme le maintien du contact avec les personnes ayant été hospitalisées pour une tentative de suicide (en France, c’est le dispositif VigilanS) ou la prévention communautaire faisant intervenir un grand nombre d’acteurs de divers secteurs (de l’éducation, de la santé, de la justice, de la police, de la protection de l’enfance, des services sociaux…).
Il est de plus en plus admis que les médias jouent également un rôle important soit en renforçant ou en affaiblissant les efforts de prévention du suicide. En effet, la couverture médiatique d’un suicide est susceptible d’inciter certaines personnes vulnérables à passer à l’acte par imitation ou au contraire à minimiser ce comportement imitatif. Tout comme les médias peuvent diffuser une information éducative utile à la prévention du suicide ou au contraire, répandre de la désinformation à ce sujet.
Suicide et médias : quels liens ? (effets Werther et Papageno)
Le suicide constitue un problème majeur de santé publique qui mérite toute notre attention. Sa prévention et son contrôle sont loin d’être aisés. Toutefois, l’actualité en matière de recherche met en évidence que, lorsqu’il est réalisé sans précaution, le traitement médiatique du suicide est l’un des nombreux facteurs pouvant inciter les personnes vulnérables à passer à l’acte. C’est l’effet Werther selon lequel la diffusion médiatique inappropriée d’un suicide serait à l’origine d’un phénomène d’imitation (autrement appelé «contagion») chez des personnes vulnérables. Le cas de l’actrice Marilyn Monroe en est une illustration : le mois suivant son décès, on a assisté à une augmentation de la mortalité par suicide de 12% aux Etats-Unis et de 10% en Grande-Bretagne (soit 363 suicides supplémentaires, rien que pour ces 2 pays). D’autres exemples célèbres en France, Autriche, Allemagne… en témoignent.
À l’inverse, l’information, lorsqu’elle répond à certaines caractéristiques, pourrait contribuer à prévenir les conduites suicidaires. Cet effet protecteur est connu sous le nom de Papageno.
L’EFFET WERTHER
Les médias jouent un rôle significatif dans la société. Ils influencent profondément la communauté dans ses attitudes, ses croyances et ses comportements et jouent un rôle majeur dans la vie politique, économique et les pratiques sociales. En raison de cette influence, les médias peuvent également jouer un rôle actif dans la prévention du suicide.
Le suicide est peut-être le moyen le plus tragique de terminer sa vie. La majorité des personnes qui envisagent le suicide sont ambivalentes. Ils ne sont pas sûrs de vouloir mourir. Un des nombreux facteurs pouvant conduire une personne fragile au suicide, pourrait être la « publicité » dans les médias à propos du suicide. La façon dont les médias présentent les cas de suicide, peut en précipiter d’autres. C’est l’effet Werther.
À sa publication en 1774, le roman Les souffrances du jeune Werther (1) connait un succès considérable en Allemagne. Goethe y dépeint les déconvenues d’un jeune amoureux, Werther, éconduit par son amante, la belle Charlotte. Le roman s’achève sur le suicide du personnage principal : Werther, désespéré de l’impasse dans laquelle l’a conduit son amour, met fin à ses jours d’une balle dans la tête. Consécutivement à la publication, l’Allemagne connaît une vague de suicides par arme à feu chez les jeunes hommes. Le roman est alors tenu pour responsable de ce qui est considéré comme la conséquence d’une identification à son héros et de l’imitation de son geste
Deux cents ans plus tard, le sociologue américain David Phillips constate une augmentation significative du taux de suicide chaque fois qu’un fait divers traitant de ce même sujet a fait les gros titres du New-York Times. S’inspirant du roman de Goethe, il introduit la notion « d’effet Werther » pour théoriser ses constatations : la couverture médiatique d’un fait suicidaire pourrait être responsable d’un phénomène de « suggestion» chez les personnes déjà vulnérables (2).
Depuis, l’hypothèse selon laquelle la diffusion médiatique inappropriée d’un suicide serait à l’origine d’un effet d’incitation (autrement appelés « contagion », « suggestion », ou effet en « grappe de masse ») a été largement étayée. Par exemple, nombre d’études « écologiques », reprises dans la méta-analyse de Niederkrontentaler et Coll. (4), retrouvent une augmentation du taux de suicide consécutivement à la médiatisation de celui d’une célébrité. Le cas de l’actrice Marilyn Monroe en est une illustration (5). De façon plus générale, la grande majorité des résultats issus de la littérature (maintenant abondante) traitant du sujet, convergent vers une corrélation positive, pour certains dose-dépendante (2,6–8), entre la mortalité suicidaire et la couverture médiatique inappropriée du suicide. Ainsi, parmi les 56 études récemment passées en revue de façon systématique par Sisak et Värnik (9), seules 4 (toutes antérieures à 1990) ne retrouvaient pas de lien entre traitement médiatique et taux de suicide. Selon Pirkis & Blood, qui s’appuient sur leur propre revue de littérature, la corrélation satisfait à suffisamment de critères pour qu’on puisse y voir un lien de causalité (10).
Bien que relativement modeste au regard des autres facteurs de risque psychosociaux et psychiatriques (11,12), la responsabilité des médias en ce qui concerne le suicide est considérée comme non négligeable. En effet, la vulnérabilité hypothétique de certains lecteurs ne semble pas être un déterminant majeur à l’effet Werther (13,14). Au contraire, les théories de l’apprentissage social laissent suggérer que certaines caractéristiques qualitatives de l’information (tant dans la forme que dans le fond) seraient plus à même d’inciter des comportements d’imitation. Les médias sont des acteurs majeurs dans la construction et l’entretien des représentations sociales. La qualité du traitement journalistique, facteur à la fois significatif et modifiable dans le risque suicidaire, mérite donc un intérêt particulier en matière de prévention.
L’EFFET PAPAGENO
Certains arguments laissent aussi penser que les médias sont susceptibles d’exercer une influence positive. Ces arguments prennent source dans une étude princeps qui s’est intéressée à la réduction du taux de suicide et de tentatives de suicide que permettraient les « meilleures pratiques » en matière de reportage sur le suicide. L’étude, conduite par Etzersdorfer et son équipe, met en évidence la réduction du caractère sensationnaliste du traitement médiatique des suicides dans le métro viennois après la parution de recommandations à destination des journalistes. Elle retrouve également une réduction de 75% du taux de suicide dans le métro, et, plus généralement, une baisse de 20% du taux de suicide à Vienne (15,16). Plus important encore, la diffusion itérative à échelle nationale des recommandations a été suivie d’une tendance à la baisse du taux global de suicide en Autriche. Cet impact positif était davantage prononcé dans les régions où les médias avaient fortement collaboré. L’effet s’avérait largement pérenne (17). Des études provenant d’Australie, de Chine, de Hong Kong, d’Allemagne et de Suisse rapportent également que les recommandations à usage des médias étaient positivement liées à la qualité du traitement médiatique du suicide. Cependant, l’efficacité de ces lignes directrices dépend du succès de leur mise en œuvre (18, 19).
L’existence d’un effet protecteur de certaines productions médiatiques relatives au suicide est étayée par une étude de Niederkrotenthaler et de son équipe. Les auteurs ont trouvé que les articles mettant l’accent sur la façon dont les individus peuvent faire face à une crise suicidaire sont associés à une diminution des taux de suicide dans la zone géographique où l’audience est la plus importante(20). Ce pouvoir protecteur des médias a été baptisé « effet Papageno » en référence à l’opéra de Mozart « La flûte enchantée », dans lequel le personnage Papageno est dissuadé de se donner la mort après qu’on lui a rappelé les alternatives au suicide. Suite à cette première étude sur l’effet Papageno, d’autres études ont identifié un effet protecteur des messages médiatiques tels que la capacité que peut avoir une personne à surmonter une situation de crise sans recourir à l’auto-agression grâce à des aides (21, 18, 22).
Exemples célèbres d'effet Werther
Parmi les suicides singuliers, le cas des suicides de célébrités constitue un champ à part entière des Media effect studies, à la fois par la place qu’il occupe dans la littérature, et par son poids dans l’Effet Werther. S’appuyant sur une méta-analyse portant sur 10 articles, Thomas Niederkrotenthaler estime ainsi que le suicide d’une célébrité majore le taux de mortalité par suicide de 0, 26 pour 100.000 dans le mois suivant l’événement (1). L’un des cas les plus célèbres reste à ce jour celui de l’actrice Marilyn Monroe, dont la mort a été suivie d’une augmentation du taux de suicide de 12,5% aux Etats-Unis(2), 40% pour la seule ville de Los Angeles(3). La recommandation # 4 de l’Organisation mondiale de la santé indique qu’il convient de faire preuve d’une attention particulière lorsque le suicide concerne une célébrité.
D’autres exemples d’effet Werther
AUTRICHE
L’un des plus célèbres modèles d’étude pour les épidémies de suicide reste à ce jour celui du métro viennois, dans les années 1980. Après la couverture médiatique sensationnelle d’un cas de suicide sur ses rails en 1986, le nombre d’incidents du même type s’est multiplié, jusqu’à atteindre un pic de 19 cas par an. La cessation de la couverture de ces faits à haut risque d’imitation, négociée en étroite collaboration entre journalistes et professionnels de santé, a permis une chute durable des suicides dans le métro de Vienne(4). Une étude plus récente montre que le même constat était généralisable au pays entier : suite à la publication des recommandations à destination des médias, on comptait, en Autriche, près de 80 suicides de moins chaque année, décroissance qui s’est maintenue pendant plus de 20 ans (5).
ALLEMAGNE
Le 10 Novembre 2009, le célèbre gardien de but de l’équipe nationale allemande, Robert Enke, se suicidait sur des rails de chemin de fer. Sa mort s’ensuivit d’une augmentation de la mortalité suicidaire de plus de 80%(6), avec une large surreprésentation des suicides impliquant des trains. L’imitation de cette méthode suicidaire a persisté pendant près de 2 ans(7).
TAIWAN
La médiatisation d’une méthode inhabituelle ou singulière de suicide transforme parfois véritablement l’épidémiologie d’un pays entier. Ce fut le cas à Taiwan, où le nombre d’intoxications par émanations de combustion de charbon de bois fut multiplié par 50 de 1998 à 2010, jusqu’à représenter près de 30% des suicides cette même année(8). Or, cette augmentation remarquable s’est faite en parallèle de celle de la couverture médiatique s’y rapportant. Tant est si bien que Chen et coll. ont estimé que chaque article de presse traitant d’un mort par combustion de charbon de bois était associé, le jour suivant, à une augmentation de 16% du nombre de suicides employant cette méthode(9). Il est par ailleurs probable que le processus ait été accéléré par la médiatisation du cas particulier du suicide d’Ivy Ly, chanteuse admirée de la jeunesse Taiwanaise(10).
FRANCE
En France, le suicide de Pierre Bérégovoy a fait l’objet d’une large couverture médiatique et a été associés à un effet Werther significatif. Il y eut ainsi, dans le mois suivant sa mort, une augmentation de 17.6% du taux suicides, touchant plus particulièrement les hommes de moins de 45 ans. Les suicides par arme à feu ont plus particulièrement connu une augmentation de 26.5%.(11)
ÉTATS-UNIS
Dernière étude en date, celle faisant suite au suicide de Robin Williams le 11 aout 2014. En tenant compte des variations saisonnières, un « surplus » de 1841 suicides a été enregistré d’août à décembre 2014, pour une augmentation de près de 10%. Elle est en particulier plus forte chez les hommes de 30 à 44 ans. Selon les auteurs, bien qu’on ne puisse déterminer avec certitude que l’augmentation des suicides est imputable aux évocations par les médias de la mort de Robin Williams, celle-ci aurait pu fournir le stimulus nécessaire aux segments à haut risque de la population américaine. En effet, si les suicides réels par empoisonnement, par arme à feu, ou à la suite d’une chute étaient plus élevés de 3 % que les suicides prévus, ceux par asphyxie (méthode employée par Robin Williams) ont grimpé de 32 % par rapport aux prévisions.(12)
Bibliographie
Quels sont les mécanismes de contagion ?
Un premier écueil serait de penser qu’il existe une cause unique au suicide. On sait, sans plus pouvoir en douter, que le suicide procède d’une multitude de facteurs individuels d’ordre psychologique et/ou psychiatrique en même temps que de facteurs sociaux et sociétaux. Mais comment comprendre que certains lycées, certaines entreprises, certains corps de métier s’endeuillent à répétition de morts qui en viennent à se ressembler ?
Le phénomène de contagion à craindre après chaque suicide contribue à l’entretien d’un cercle vicieux qui leste la morbi-mortalité suicidaire. Comme en atteste la littérature scientifique, les personnes exposées directement ou indirectement à un événement suicidaire sont elles-mêmes plus à risque de souffrir d’idées de mort, voire de passer à l’acte. Il en découle la survenue « d’épidémies », soit que les suicides se succèdent de façon localisée dans les institutions (hôpitaux, entreprises, écoles, etc.) ou sur les hot-spots (ponts, falaises, forêts, etc.), soit qu’ils se multiplient sur tout le territoire sous l’influence des médias ou des réseaux sociaux.
La notion de la contagion ouvre une voie de compréhension qui éclaire sans la réduire la complexité du geste suicidaire. Mobilisant la psychologie, la sociologie et les sciences de la communication, elle postule le rôle central de l’identification comme lien social fondamental. Lorsque l’identification est mise à l’épreuve du suicide, elle risque de conduire les plus vulnérables à l’imitation du geste fatal ou au contraire elle est le socle de l’entraide, du souci de l’autre et de l’accès au soin.
Qu'est-ce qu'un hot-spot ?
UN SUICIDE PEUT ÊTRE LE PLUS INTIME DES ACTES. UN INDIVIDU, SEUL DANS UNE EXTRÊME SOUFFRANCE PSYCHIQUE, PREND LA DÉCISION ULTIME DE ROMPRE DÉFINITIVEMENT SON LIEN AVEC CE MONDE. CEPENDANT, LORSQUE CETTE PERSONNE MEURT EN SAUTANT D’UN BÂTIMENT, D’UNE FALAISE, D’UN PONT PAR EXEMPLE, C’EST PAR NATURE UNE ACTION QUI DEVIENT PUBLIQUE ET QUI PEUT ÊTRE RELAYÉE PAR LES MÉDIAS AU RISQUE DE CRÉER CE QUE L’ON NOMME DES HOT-SPOT SUICIDAIRES.
Un hot-spot suicidaire, aussi connu comme un «site emblématique», est un site spécifique, généralement public, fréquemment utilisé comme lieu de suicide compte tenu de sa facilité d’accès et de sa létalité perçue. Le Golden Gate Bridge, la Tour Eiffel et les chutes du Niagara sont les endroits les plus célèbres du monde (National Institute for Mental Health, 2006). La forêt d’Aokigahara au Japon est également tristement célèbre.
Les suicides sur ces sites emblématiques sont loin d’être communs, mais ils reçoivent une attention disproportionnée de la part des médias. En 1995, alors que le 1000è suicide au Golden Gate Bridge approchait, il a fallu demander aux médias locaux de s’abstenir de commenter ce phénomène ; certaines stations de radio étant en train de « décompter » en prévision du « jalon ».
La sécurisation du site emblématique premièrement. Perron (2013) a étudié le pont Jacques-Cartier à Montréal, longtemps considéré comme un hot-spot du suicide. La construction d’une barrière en 2004 a permis d’endiguer la vague de suicides sans qu’il n’y ait de déplacement vers d’autres ponts dans la région. Après l’installation de la barrière, on constata une forte diminution du taux de suicide local.
Une autre étude importante a porté sur le pont de Grafton à Auckland, en Nouvelle-Zélande. Des barrières ont été érigées dans les années 1930 sur la base d’une recommandation du coroner. Des plaintes ont été soulevées pendant des décennies concernant «l’inesthétisme des barrières». Le conseil municipal a cédé en 1997 et les barrières ont été enlevées. En 2001, toutefois, les chercheurs ont découvert une augmentation de cinq fois du nombre de suicides au cours des quatre années précédentes. La conseil municipal a alors pris l’initiative sans précédent d’installer de nouvelles barrières avec un «design amélioré et incurvé». Après leur installation, les suicides ont complètement cessé (Beautrais, 2009).
Un bon argument en faveur de l’érection des barrières est qu’elles permettent un «gain de temps» qui donne à l’individu une chance de reconsidérer ses actions. Dans ses mémoires sur une tentative de suicide au Golden Gate Bridge, Kevin Hines décrit ses regrets au moment où il a sauté du pont (2013). Il souffrait d’un trouble bipolaire et il raconte son trajet en bus jusqu’au fameux pont, rempli de pensées ambivalentes. Il hésitait entre sa décision de mourir, et un désir alternatif d’être «découvert» et sauvé. Son désir de mourir l’a emporté, et durant sa chute, il raconte s’être dit « Qu’ai-je fait ? Je ne veux pas mourir ».
Cela a été corroboré par une étude de Pirkis et al. (2013), qui a examiné neuf interventions sur des hotspot suicidaires. Elle conclue qu’ : «il existe des preuves solides que l’installation de structures comme des barrières ou des filets de sécurité sur des sites de sauts connus est une stratégie efficace de prévention du suicide». Dans une autre étude, Jane Pirkis et ses collègues ont étudié le nombre de suicides avant et après les interventions sur 18 hot-spot aux États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine et Europe. Les chercheurs ont constaté que l’installation de barrières sur les ponts et les plates-formes ferroviaires était associée à une réduction du risque de suicide de 93% et que l’affichage de numéros d’aide sur ces sites pouvait réduire le risque de 61%.
Les barrières de suicide ne dissuaderont pas tous les suicides et tous les suicides ne se déroulent pas sur des ponts. C’est pourquoi, d’autres mesures de prévention ont fait leur preuve : encourager la recherche d’aide (par l’installation d’une signalisation et d’un accès téléphonique); l’intervention accrue de tiers (patrouilles de sécurité ou initiatives citoyennes – on peut notamment citer l’expérience irlandaise des Taxi Watch); fournir des conseils pour un traitement médiatique responsable du suicide.
S’agissant des hot-spot, le rôle des médias demeure central. La médiatisation récurrente de suicides sur un même lieu est susceptible de forger une réputation de « site emblématique » à ce lieu. C’est pourquoi, l’OMS a édité des recommandations pour un traitement médiatique responsable du suicide parmi lesquelles figure un point sur la mention du lieu du suicide ou de la tentative de suicide. Les professionnels des médias sont invités à mettre un soin particulier à ne pas promouvoir de tels lieux car le risque de contagion suicidaire est avéré. Pour se faire, ils pourront éviter, par exemple, de les décrire de façon sensationnaliste ou de mettre en exergue le nombre d’incidents qui y ont lieu. Une prudence est particulièrement requise lorsqu’un suicide ou une tentative de suicide se déroule au sein d’un établissement d’enseignement ou d’une institution spécifique telle que les prisons qui accueillent des personnes particulièrement vulnérables.
On aime : le TEDTalk de Kevin Briggs : un pont entre le suicide et la vie.
Publications scientifiques
- C-E Notredame, P Grandgenèvre, N Pauwels, M Morgiève, M Wathelet, G Vaiva, M Séguin. Leveraging the Web and Social Media to Promote Access to Care Among Suicidal Individuals, Frontiers in Psychology. 2018 ; volume 9 article 1338
- Notredame CE., Grandgenèvre P., Vaiva G., Séguin M. At least one reason more why ? European Child & Adolescent Psychiatry. Publish on line : 25 july 2017
- « L’effet Papageno pour prévenir la contagion suicidaire », entretien avec Notredame C.E., propos recueillis par Granger B., revue PSN (psychiatrie, sciences humaines, neurosciences) 2017/1 (volume 15), 21-27. La question des iconoblastes à Notredame C.E., revue PSN (psychiatrie, sciences humaines, neurosciences) 2017/1 (volume 15), 97-101
- Notredame C.E., Pauwels N., Vaiva G., Danel T., Walter M. Peut-on faire du journaliste un acteur de prévention du suicide ? Encéphale 2016
- Notredame C.E., Pauwels N., Walter M., Danel T., Vaiva G. Le traitement médiatique du suicide : du constat épidémiologique aux pistes de prévention. La presse médicale, 2015 ; 44 : 1243-1250
- Prévention du suicide : les médias à la Une et Suicide et médias sur le plan international : un groupe de travail spécifique au sein de l’IASP, La lettre du psychiatre, décembre 2015