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Suicide et médias : quels liens ? (effets Werther et Papageno) – journalisteProgramme Papageno31 Juil 201825 Oct 2018

Suicide et médias : quels liens ? (effets Werther et Papageno)

Le suicide constitue un problème majeur de santé publique qui mérite toute notre attention. Sa prévention et son contrôle sont loin d’être aisés. Toutefois, l’actualité en matière de recherche met en évidence que, lorsqu’il est réalisé sans précaution, le traitement médiatique du suicide est l’un des nombreux facteurs pouvant inciter les personnes vulnérables à passer à l’acte. C’est l’effet Werther selon lequel la diffusion médiatique inappropriée d’un suicide serait à l’origine d’un phénomène d’imitation (autrement appelé «contagion») chez des personnes vulnérables. Le cas de l’actrice Marilyn Monroe en est une illustration : le mois suivant son décès, on a assisté à une augmentation de la mortalité par suicide de 12% aux Etats-Unis et de 10% en Grande-Bretagne (soit 363 suicides supplémentaires, rien que pour ces 2 pays). D’autres exemples célèbres en France, Autriche, Allemagne… en témoignent.

À l’inverse, l’information, lorsqu’elle répond à certaines caractéristiques, pourrait contribuer à prévenir les conduites suicidaires. Cet effet protecteur est connu sous le nom de Papageno.

L’EFFET WERTHER

Les médias jouent un rôle significatif dans la société. Ils influencent profondément la communauté dans ses attitudes, ses croyances et ses comportements et jouent un rôle majeur dans la vie politique, économique et les pratiques sociales. En raison de cette influence, les médias peuvent également jouer un rôle actif dans la prévention du suicide.

Le suicide est peut-être le moyen le plus tragique de terminer sa vie. La majorité des personnes qui envisagent le suicide sont ambivalentes. Ils ne sont pas sûrs de vouloir mourir. Un des nombreux facteurs pouvant conduire une personne fragile au suicide, pourrait être la « publicité » dans les médias à propos du suicide. La façon dont les médias présentent les cas de suicide, peut en précipiter d’autres. C’est l’effet Werther.

À sa publication en 1774, le roman Les souffrances du jeune Werther (1) connait un succès considérable en Allemagne. Goethe y dépeint les déconvenues d’un jeune amoureux, Werther, éconduit par son amante, la belle Charlotte. Le roman s’achève sur le suicide du personnage principal : Werther, désespéré de l’impasse dans laquelle l’a conduit son amour, met fin à ses jours d’une balle dans la tête. Consécutivement à la publication, l’Allemagne connaît une vague de suicides par arme à feu chez les jeunes hommes. Le roman est alors tenu pour responsable de ce qui est considéré comme la conséquence d’une identification à son héros et de l’imitation de son geste

Deux cents ans plus tard, le sociologue américain David Phillips constate une augmentation significative du taux de suicide chaque fois qu’un fait divers traitant de ce même sujet a fait les gros titres du New-York Times. S’inspirant du roman de Goethe, il introduit la notion « d’effet Werther » pour théoriser ses constatations : la couverture médiatique d’un fait suicidaire pourrait être responsable d’un phénomène de « suggestion» chez les personnes déjà vulnérables (2).

Depuis, l’hypothèse selon laquelle la diffusion médiatique inappropriée d’un suicide serait à l’origine d’un effet d’incitation (autrement appelés « contagion », « suggestion », ou effet en « grappe de masse ») a été largement étayée. Par exemple, nombre d’études « écologiques », reprises dans la méta-analyse de Niederkrontentaler et Coll. (4), retrouvent une augmentation du taux de suicide consécutivement à la médiatisation de celui d’une célébrité. Le cas de l’actrice Marilyn Monroe en est une illustration (5). De façon plus générale, la grande majorité des résultats issus de la littérature (maintenant abondante) traitant du sujet, convergent vers une corrélation positive, pour certains dose-dépendante (2,6–8), entre la mortalité suicidaire et la couverture médiatique inappropriée du suicide. Ainsi, parmi les 56 études récemment passées en revue de façon systématique par Sisak et Värnik (9), seules 4 (toutes antérieures à 1990) ne retrouvaient pas de lien entre traitement médiatique et taux de suicide. Selon Pirkis & Blood, qui s’appuient sur leur propre revue de littérature, la corrélation satisfait à suffisamment de critères pour qu’on puisse y voir un lien de causalité (10).

Bien que relativement modeste au regard des autres facteurs de risque psychosociaux et psychiatriques (11,12), la responsabilité des médias en ce qui concerne le suicide est considérée comme non négligeable. En effet, la vulnérabilité hypothétique de certains lecteurs ne semble pas être un déterminant majeur à l’effet Werther (13,14). Au contraire, les théories de l’apprentissage social laissent suggérer que certaines caractéristiques qualitatives de l’information (tant dans la forme que dans le fond) seraient plus à même d’inciter des comportements d’imitation. Les médias sont des acteurs majeurs dans la construction et l’entretien des représentations sociales. La qualité du traitement journalistique, facteur à la fois significatif et modifiable dans le risque suicidaire, mérite donc un intérêt particulier en matière de prévention.

L’EFFET PAPAGENO

Certains arguments laissent aussi penser que les médias sont susceptibles d’exercer une influence positive. Ces arguments prennent source dans une étude princeps qui s’est intéressée à la réduction du taux de suicide et de tentatives de suicide que permettraient les « meilleures pratiques » en matière de reportage sur le suicide. L’étude, conduite par Etzersdorfer et son équipe, met en évidence la réduction du caractère sensationnaliste du traitement médiatique des suicides dans le métro viennois après la parution de recommandations à destination des journalistes. Elle retrouve également une réduction de 75% du taux de suicide dans le métro, et, plus généralement, une baisse de 20% du taux de suicide à Vienne (15,16). Plus important encore, la diffusion itérative à échelle nationale des recommandations a été suivie d’une tendance à la baisse du taux global de suicide en Autriche. Cet impact positif était davantage prononcé dans les régions où les médias avaient fortement collaboré. L’effet s’avérait largement pérenne (17). Des études provenant d’Australie, de Chine, de Hong Kong, d’Allemagne et de Suisse rapportent également que les recommandations à usage des médias étaient positivement liées à la qualité du traitement médiatique du suicide. Cependant, l’efficacité de ces lignes directrices dépend du succès de leur mise en œuvre (18, 19).

L’existence d’un effet protecteur de certaines productions médiatiques relatives au suicide est étayée par une étude de Niederkrotenthaler et de son équipe. Les auteurs ont trouvé que les articles mettant l’accent sur la façon dont les individus peuvent faire face à une crise suicidaire sont associés à une diminution des taux de suicide dans la zone géographique où l’audience est la plus importante(20). Ce pouvoir protecteur des médias a été baptisé « effet Papageno » en référence à l’opéra de Mozart « La flûte enchantée », dans lequel le personnage Papageno est dissuadé de se donner la mort après qu’on lui a rappelé les alternatives au suicide. Suite à cette première étude sur l’effet Papageno, d’autres études ont identifié un effet protecteur des messages médiatiques tels que la capacité que peut avoir une personne à surmonter une situation de crise sans recourir à l’auto-agression grâce à des aides (21, 18, 22).

Von Goethe JW. Die leiden des jungen Werthers [Internet]. Springer; 2006 [cited 2014 Apr 26]. Available from: http://link.springer.com/content/pdf/10.1007/978-3-8350-9667-7_10.pdf. Also available from Google book Phillips DP. The influence of suggestion on suicide: substantive and theoretical implications of the Werther effect. Am Sociol Rev [Internet]. 1974 [cited 2014 Apr 24]; Available from: http://psycnet.apa.org/psycinfo/1974-32695-001 Mesoudi A. The Cultural Dynamics of Copycat Suicide. Jones JH, editor. PLoS ONE. 2009 Sep 30;4(9):e7252. Niederkrotenthaler T, Fu K, Yip PSF, Fong DYT, Stack S, Cheng Q, et al. Changes in suicide rates following media reports on celebrity suicide: a meta-analysis. J Epidemiol Community Health. 2012 Nov;66(11):1037–42. Stack S. Media impacts on suicide: A quantitative review of 293 findings. Soc Sci Q. 2000 Etzersdorfer E. A dose–response relationship of imitational suicides with newspaper distribution. Aust N Z J Psychiatry. 2001;35(2):251–251. Stack S. Media coverage as a risk factor in suicide. J Epidemiol Community Health. 2003;57(4):238–40. Etzersdorfer E, Voracek M, Sonneck G. A dose-response relationship between imitational suicides and newspaper distribution. Arch Suicide Res. 2004;8(2):137–45. Sisask M, Värnik A. Media Roles in Suicide Prevention: A Systematic Review. Int J Environ Res Public Health. 2012 Jan 4;9(12):123–38. Pirkis J, Blood RW. Suicide and the media. Part I: Reportage in nonfictional media. Crisis. 2001;22(4):146–54. Stack S. Social correlates of suicide by age. Life span perspectives of suicide [Internet]. Springer; 1991 [cited 2014 Apr 26]. p. 187–213. Available from: http://link.springer.com/chapter/10.1007/978-1-4899-0724-0_14 Velting DM, Gould MS. Suicide contagion. 1997 [cited 2014 Apr 26]; Available from: http://psycnet.apa.org/psycinfo/1997-08501-005 Stack S. The effect of the media on suicide: the Great Depression. Suicide Life Threat Behav. 1992;22(2):255–67. Pouliot L, Mishara BL, Labelle R. The Werther effect reconsidered in light of psychological vulnerabilities: results of a pilot study. J Affect Disord. 2011 Nov;134(1-3):488–96. Etzersdorfer E, Sonneck G. Preventing suicide by influencing mass- media reporting: the Viennese experience 1980-1996. Arch Suicide Res. 1998;4(1):64-74. Sonneck G, Etzersdorfer E, Nagel Kuess S. Imitative suicide on the Viennese subway. Soc Sci Med. 1994;38(3):453-7. Niederkrotenthaler T, Sonneck G. Assessing the impact of media guidelines for reporting on suicides in Austria: interrupted time series analysis. Aust N Z J Psychiatry. 2007;41(5):419-28. Stack S, Niederkrotenthaler T, editors. Media and suicide: international perspectives on research, theory & policy. Piscataway (NJ): Transaction Publishers; 2017. Tatum PT, Canetto SS, Slater MD. Suicide coverage in U.S. newspapers following the publication of the media guidelines. Suicide Life Threat Behav. 2010;40:525-35. Niederkrotenthaler T, Voracek M, Herberth A, Till B, Strauss M, Etzersdorfer E et al. Role of media reports in completed and prevented suicide – Werther v. Papageno effects. Br J Psychiatry. 2010;197:234–43. Till B, Strauss M, Sonneck G, Niederkrotenthaler T. Determining the effects of films with suicidal content: a laboratory experiment. Br J Psychiatry. 2015;207(1):72-8. doi: 10.1192/bjp.bp.114.152827. Till B, Tran U, Voracek M, Niederkrotenthaler T. Papageno vs. Werther Effect online: randomized controlled trial of beneficial and harmful impacts of educative suicide prevention websites. Br J Psychiatry. 2017. Online first: doi: 10.1192/bjp.bp.115.177394

Exemples célèbres d'effet Werther

effets des médias marilyn monroeParmi les suicides singuliers, le cas des suicides de célébrités constitue un champ à part entière des Media effect studies, à la fois par la place qu’il occupe dans la littérature, et par son poids dans l’Effet Werther. S’appuyant sur une méta-analyse portant sur 10 articles, Thomas Niederkrotenthaler estime ainsi que le suicide d’une célébrité majore le taux de mortalité par suicide de 0, 26 pour 100.000 dans le mois suivant l’événement (1). L’un des cas les plus célèbres reste à ce jour celui de l’actrice Marilyn Monroe, dont la mort a été suivie d’une augmentation du taux de suicide de 12,5% aux Etats-Unis(2), 40% pour la seule ville de Los Angeles(3). La recommandation # 4 de l’Organisation mondiale de la santé indique qu’il convient de faire preuve d’une attention particulière lorsque le suicide concerne une célébrité.

Consultez les 12 recommandations de l’OMS ici

D’autres exemples d’effet Werther

AUTRICHE

L’un des plus célèbres modèles d’étude pour les épidémies de suicide reste à ce jour celui du métro viennois, dans les années 1980. Après la couverture médiatique sensationnelle d’un cas de suicide sur ses rails en 1986, le nombre d’incidents du même type s’est multiplié, jusqu’à atteindre un pic de 19 cas par an. La cessation de la couverture de ces faits à haut risque d’imitation, négociée en étroite collaboration entre journalistes et professionnels de santé, a permis une chute durable des suicides dans le métro de Vienne(4). Une étude plus récente montre que le même constat était généralisable au pays entier : suite à la publication des recommandations à destination des médias, on comptait, en Autriche, près de 80 suicides de moins chaque année, décroissance qui s’est maintenue pendant plus de 20 ans (5).

ALLEMAGNE

Le 10 Novembre 2009, le célèbre gardien de but de l’équipe nationale allemande, Robert Enke, se suicidait sur des rails de chemin de fer. Sa mort s’ensuivit d’une augmentation de la mortalité suicidaire de plus de 80%(6), avec une large surreprésentation des suicides impliquant des trains. L’imitation de cette méthode suicidaire a persisté pendant près de 2 ans(7).

TAIWAN

La médiatisation d’une méthode inhabituelle ou singulière de suicide transforme parfois véritablement l’épidémiologie d’un pays entier. Ce fut le cas à Taiwan, où le nombre d’intoxications par émanations de combustion de charbon de bois fut multiplié par 50 de 1998 à 2010, jusqu’à représenter près de 30% des suicides cette même année(8). Or, cette augmentation remarquable s’est faite en parallèle de celle de la couverture médiatique s’y rapportant. Tant est si bien que Chen et coll. ont estimé que chaque article de presse traitant d’un mort par combustion de charbon de bois était associé, le jour suivant, à une augmentation de 16% du nombre de suicides employant cette méthode(9). Il est par ailleurs probable que le processus ait été accéléré par la médiatisation du cas particulier du suicide d’Ivy Ly, chanteuse admirée de la jeunesse Taiwanaise(10).

FRANCE

En France, le suicide de Pierre Bérégovoy a fait l’objet d’une large couverture médiatique et a été associés à un effet Werther significatif. Il y eut ainsi, dans le mois suivant sa mort, une augmentation de 17.6% du taux suicides, touchant plus particulièrement les hommes de moins de 45 ans. Les suicides par arme à feu ont plus particulièrement connu une augmentation de 26.5%.(11)

ÉTATS-UNIS

Dernière étude en date, celle faisant suite au suicide de Robin Williams le 11 aout 2014. En tenant compte des variations saisonnières, un « surplus » de 1841 suicides a été enregistré d’août à décembre 2014, pour une augmentation de près de 10%. Elle est en particulier plus forte chez les hommes de 30 à 44 ans. Selon les auteurs, bien qu’on ne puisse déterminer avec certitude que l’augmentation des suicides est imputable aux évocations par les médias de la mort de Robin Williams, celle-ci aurait pu fournir le stimulus nécessaire aux segments à haut risque de la population américaine. En effet, si les suicides réels par empoisonnement, par arme à feu, ou à la suite d’une chute étaient plus élevés de 3 % que les suicides prévus, ceux par asphyxie (méthode employée par Robin Williams) ont grimpé de 32 % par rapport aux prévisions.(12)

Bibliographie

Niederkrontenthaler, T., Fu, K.-W.,Yip,P.-S.,Fong, D.-Y.,Stack,S.,Cheng, Q., Pirkis, J. Changes in suicide rates following media reports on celebrity suicide: a meta-analysis.J Epidemiol Community Health. 66(11):1037-42 (2012) Phillips, D. The influence of suggestion on suicide: substantive and theoretical implications of the Werther effect.American Sociological Review.39:340–54 (1974) Motto JA. Suicide and suggestibility. The role of the press. Am J Psychiatry;124:252–6 (1967) Etzersdorfer, E. & Sonneck, G. Preventing suicide by influencing mass-media reporting. The Viennese experience 1980–1996. Arch. Suicide Res. 4, 67–74 (1998) Niederkrotenthaler, T. & Sonneck, G. Assessing the impact of media guidelines for reporting on suicides in Austria: interrupted time series analysis. Aust. N. Z. J. Psychiatry 41, 419–428 (2007) Ladwig, K.-H., Kunrath, S., Lukaschek, K. & Baumert, J. The railway suicide death of a famous German football player: impact on the subsequent frequency of railway suicide acts in Germany. J. Affect. Disord. 136, 194–198 (2012) Hegerl, U. et al. One followed by many?—Long-term effects of a celebrity suicide on the number of suicidal acts on the German railway net. J. Affect. Disord. 146, 39–44 (2013) Chang, S.-S., Gunnell, D., Wheeler, B. W., Yip, P. & Sterne, J. A. C. The Evolution of the Epidemic of Charcoal-Burning Suicide in Taiwan: A Spatial and Temporal Analysis. PLoS Med 7, e1000212 (2010) Chen, Y.-Y., Chen, F. & Yip, P. S. F. The impact of media reporting of suicide on actual suicides in Taiwan, 2002-05. J. Epidemiol. Community Health 65, 934–940 (2011) Chen, Y.-Y. et al. The impact of media reporting of the suicide of a singer on suicide rates in Taiwan. Soc. Psychiatry Psychiatr. Epidemiol. 47, 215–221 (2012) Queinec, R., Benjamin, C., Beitz, C., Lagarde, E. & Encrenaz, G. Suicide contagion in France: an epidemiologic study. Inj. Prev. 16, A241–A241 (2010) Fink DS, Santaella-Tenorio J, Keyes KM (2018) Increase in suicides the months after the death of Robin Williams in the US. PLoS ONE 13(2): e0191405.

 

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