Depuis mon enfance, je suis atteint d’une maladie neurologique, un trouble du mouvement, incurable à ce jour, qui évolue par crises et qui peut me handicaper dans ces périodes.
J’ai toujours détesté mon corps de ce fait, pour les souffrances qu’il me cause. A cela se sont ajoutés des événements de vie plutôt traumatisants, dont le harcèlement scolaire, les agressions homophobes, des relations familiales parfois tendues, puis l’accident de ma mère quand j’étais au lycée qui m’a porté un énorme coup.
Voir ma mère qui était active être alitée et devoir être opérée à plusieurs reprises, pour ne plus jamais pouvoir travailler, avoir des douleurs permanentes, a changé mon état d’esprit, en plein milieu de mon adolescence déjà troublée de questionnements divers. Ça a provoqué en moi l’envie de fuir. Dans tous les sens, il fallait que je parte au plus vite.
J’ai connu ma première dépression au lycée, accompagnée d’une anorexie restrictive, une obsession du poids, une alimentation chamboulée. Je n’attendais qu’une chose, c’était de partir de ma Lorraine natale. C’est ce que j’ai fait l’été de mes 18 ans.
J’ai pu être suivi dans un hôpital parisien pour ma maladie neurologique et on a essayé de nouveaux traitements. Il se trouve que je les ai très mal supportés et qu’à peine 6 semaines après mon arrivée à Paris, j’avais tellement d’effets secondaires indésirables et insupportables que j’ai commencé à envisager de m’ôter la vie. J’ai appelé ma mère à ce moment-là en lui disant qu’il fallait qu’on fasse quelque chose, sinon j’allais faire une bêtise. En des termes plus crus.
Paniquée, elle est venue, malgré son propre état de santé dégradé. Malheureusement, ça s’est assez mal passé. Elle n’a pas compris ma détresse, elle me l’a même reprochée. Quelques semaines plus tard, je faisais ma première tentative de suicide. Un geste totalement impulsif, non anticipé. Tellement peu anticipé que j’ai absorbé tous les médicaments que j’avais chez moi, et quelques minutes plus tard j’étais dans le métro pour me rendre à mon job étudiant. Je n’y suis jamais arrivé, et je me suis réveillé plusieurs jours plus tard sans aucun souvenir. Puis j’ai commencé à être suivi pour cette dépression lancinante et envahissante. J’ai arrêté les traitements qui me causaient trop d’effets secondaires, et la situation s’améliorait un peu. L’anorexie était toujours présente, cela dit. Et je n’en avais aucune conscience.
Quelques années plus tard, devant une aggravation de mes symptômes moteurs, mon neurologue a décidé de me mettre sous un autre traitement. Dose trop forte dès le départ, énormes effets secondaires quasi-immédiats. J’étais sur le point de faire ma deuxième tentative de suicide. Mon petit ami de l’époque n’arrivait plus à me soutenir et m’a fait comprendre qu’il ne pouvait plus supporter cette situation. Je ne lui en ai pas voulu, je suis toujours en contact avec lui. Je me retrouvais seul, livré à moi-même, la hauteur des étages de mon immeuble qui tentait de m’aspirer. Mais j’ai décidé d’aller aux urgences, où j’ai été plutôt mal reçu, moqué, mis sur un brancard dans un couloir et renvoyé chez moi le lendemain sans aucun suivi. Mais j’en suis sorti, une fois de plus.
Les années passent, l’anorexie se rétablit un peu. Puis, à nouveau, dépression. Cette fois, hyperphagie pendant quelques mois. Puis à nouveau anorexie. Puis rétablissement de l’anorexie.
Des mauvais choix, des prises de risque inutiles, une dépression qui s’installait progressivement à nouveau. Nouvel échec de traitement pour ma maladie. Je veux disparaitre. Encore. Mais je me remets, lentement mais surement.
Je commence ma thèse en 2018, plutôt en bonne forme. Au fil des mois, mon moral se dégrade beaucoup et vite, je n’aime pas vraiment ce que je fais, je suis très isolé, le labo est à 1h30 de trajet de chez moi et je n’ai aucun collègue avec qui parler. Parcours du combattant pour obtenir le télétravail pour raisons de santé, parce que je ne supportais plus les 3h quotidiennes de transport pour être tout seul dans un bureau sans aucun lien social, alors que je pouvais travailler avec des amis depuis chez moi ou chez eux et sans avoir à subir 3h de transport tous les jours, avec mes mouvements anormaux qui m’attirent souvent des regards peu bienveillants, voire de l’agressivité. On finit par me l’accorder.
J’ai eu envie d’abandonner ma thèse parce que je n’y voyais plus d’avenir positif. Je voulais donner des cours, j’ai bataillé pour en trouver, parce que j’aime ça. J’avais eu plusieurs années d’expérience très positives dans la médiation scientifique auprès de lycéens, j’adorais ça. J’ai tenté de m’en sortir en retrouvant une mission du même acabit. J’en ai trouvé une. C’est ce qui me motivait à finir ma thèse. J’ai passé des dizaines d’heures non rémunérées à préparer les cours que j’allais donner. La demande de cumul a été déposée à mon université en octobre 2019, je devais enseigner à partir de janvier 2020.
La veille du début des cours, l’Université me dit qu’il ne m’y autorise pas. Pourquoi ? « On fait déjà assez d’efforts pour vous en vous accordant le télétravail pour raisons médicales (sic), alors on va pas aussi vous laisser aller donner des cours« . Coup de massue. C’était tout ce qui me motivait à continuer. Mon grand-père décède au même moment. Je m’effondre, littéralement. Mon petit-ami m’avait offert un week-end au Pays Basque pour mon anniversaire, je me suis effondré en larmes sur la plage. Je n’avais plus aucune envie de poursuivre cette vie. Il a été d’un soutien inconditionnel et toujours bienveillant. Mais ce n’était pas fini… Une grippe et une gastro-entérite allaient me faire replonger dans l’anorexie. Plus que jamais. Sans m’en rendre compte. J’avais commencé ma thèse avec 65kg à peu près, je l’ai terminée avec moins de 50kg, des idées suicidaires permanentes, un plan précis pour passer à l’acte. Et tout ça me semblait tout à fait normal, je n’y voyais aucun mal. C’était pour moi la seule manière de me libérer. Fin de la thèse, pas de poste. Ça faisait déjà 11 mois que je prospectais pendant ma thèse. Que des refus, partout. Pas assez d’expérience, pas assez spécialisé dans ceci, trop spécialisé dans cela, etc. De jour au lendemain, j’ai plongé dans une boulimie frénétique. Crises de plus en plus fréquentes et violentes. J’ingurgitais des dizaines de milliers de calories par jour. Je marchais jusqu’à 50km quotidiennement pour compenser, je prenais des laxatifs et des diurétiques à outrance, je vomissais, etc. Je passais mes journée à penser à la nourriture, c’était devenu obsessionnel. A nouveau comme au lycée, je me pesais en permanence. Mais je voyais mon poids augmenter à cause de l’intensité des crises de boulimie que je ne pouvais plus compenser.
Quatre mois comme ça : ma vie se limitait à faire des courses, faire des crises, ruminer sur la nourriture et la mort. Jusqu’à un soir de février où je ne pouvais littéralement plus supporter tout ça : dépression, chômage, maladie neurologique, TCA. Après une énorme crise de boulimie, j’ai voulu m’enlever la vie, encore une fois. Mais j’ai parlé à un ami. Il m’a incité à aller consulter ce soir-là. Je l’ai fait. Il m’a sauvé la vie. J’ai recommencé un suivi pour la dépression ce jour-là.
Depuis je remonte la pente, j’ai cherché et trouvé un emploi qui contribue aussi énormément à mon rétablissement, j’ai lancé un podcast pour parler de santé mentale et je me sens utile. Je fais des rencontres géniales. J’aborde la vie du meilleur côté désormais, et j’espère que tout cela est définitivement derrière moi.
Tout ça pour dire, si vous vous sentez mal psychiquement, parlez-en à une personne de confiance, n’hésitez pas à consulter, et dites-vous qu’il existe toujours des solutions. Le tunnel peut être parfois très long, mais il y a TOUJOURS une lumière au bout. Acceptez les mains tendues. Et si quelqu’un dans votre entourage va mal, écoutez-le/la, soyez patient, bienveillant. Incitez à consulter un professionnel. Vous sauverez des vies. On est toutes et tous concerné-e-s, on peut toutes et tous faire quelque chose.