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Suicide et médias : quels enjeux ?

Suicide et responsabilité

Il existe 2 effets clairement identifiés qui empruntent leurs noms à des héros d’opéra : l’effet Werther selon lequel la diffusion médiatique inappropriée d’un suicide serait à l’origine d’un phénomène d’imitation et l’effet Papageno où, au contraire, un traitement journalistique responsable contribue à prévenir les comportements suicidaires.

Certes, le risque d’un surcroit de suicides augmente lorsque l’article décrit explicitement la méthode suicidaire, a recours à des Unes et des gros titres sensationnalistes ou des images spectaculaires et lorsque la couverture médiatique – répétée et abondante – banalise ou romantise un décès par suicide.
Pour autant, ne craignez pas de parler du suicide. Plus le tabou persiste, plus la honte et la culpabilité des personnes suicidaires s’enracinent. Traiter le suicide avec prudence, même brièvement, peut modifier les idées reçues et ainsi encourager les personnes les plus vulnérables à chercher de l’aide.

PARLER DU SUICIDE, MAIS AVEC PRÉCAUTION

En effet, l’actualité en matière de recherche met en évidence que, lorsqu’il est réalisé sans précaution, le traitement médiatique du suicide est l’un des nombreux facteurs pouvant inciter les personnes vulnérables à passer à l’acte. C’est l’effet Werther selon lequel la diffusion médiatique inappropriée d’un suicide serait à l’origine d’un phénomène d’imitation (autrement appelé «contagion») chez des personnes vulnérables. Le cas de l’acteur Robin Williams en est une illustration : 6 mois après son décès, on a assisté à une augmentation de la mortalité par suicide des hommes de 30 à 44 ans aux États-Unis (soit 1841 suicides supplémentaires). D’autres exemples célèbres en France, Autriche, Allemagne… en témoignent.

À l’inverse, l’information, lorsqu’elle répond à certaines caractéristiques, pourrait contribuer à prévenir les conduites suicidaires. Cet effet protecteur est connu sous le nom de Papageno.

L’EFFET WERTHER

Depuis une cinquantaine d’années, de nombreuses recherches dédiées au traitement médiatique du suicide montrent qu’il n’est pas anodin de communiquer sur le sujet. En effet, la façon dont les médias relatent les cas de suicide peut en précipiter d’autres. C’est l’effet Werther c’est-à-dire l’effet par lequel la couverture médiatique d’un fait suicidaire risque d’induire une augmentation du suicide par un phénomène d’imitation chez les personnes vulnérables.

À sa publication en 1774, le roman Les souffrances du jeune Werther (1) connait un succès considérable en Allemagne. Goethe y dépeint les déconvenues d’un jeune amoureux, Werther, éconduit par son amante, la belle Charlotte. Le roman s’achève sur le suicide du personnage principal : Werther, désespéré de l’impasse dans laquelle l’a conduit son amour, met fin à ses jours d’une balle dans la tête. Consécutivement à la publication, l’Allemagne connaît une vague de suicides par arme à feu chez les jeunes hommes. Le roman est alors tenu pour responsable de ce qui est considéré comme la conséquence d’une identification à son héros et de l’imitation de son geste.

Deux cents ans plus tard, le sociologue américain David Phillips constate une augmentation significative du taux de suicide chaque fois qu’un fait divers traitant de ce même sujet a fait les gros titres du New-York Times. S’inspirant du roman de Goethe, il introduit la notion « d’effet Werther » pour théoriser ses constatations : la couverture médiatique d’un fait suicidaire pourrait être responsable d’un phénomène de « suggestion » chez les personnes déjà vulnérables (2).


Depuis, l’hypothèse selon laquelle la diffusion médiatique inappropriée d’un suicide serait à l’origine d’un effet d’incitation (autrement appelés « contagion », « suggestion », ou effet en « grappe de masse ») a été largement étayée. Par exemple, nombre d’études « écologiques », reprises dans la méta-analyse de Niederkrontentaler et Coll. (3), retrouvent une augmentation du taux de suicide consécutivement à la médiatisation de celui d’une célébrité. De façon plus générale, la grande majorité des résultats issus de la littérature (dorénavant abondante) traitant du sujet, convergent vers une corrélation positive, pour certains dose-dépendante (4-7), entre la mortalité suicidaire et la couverture médiatique inappropriée du suicide. Ainsi, parmi les 56 études récemment passées en revue de façon systématique par Sisak et Värnik (8), seules 4 (toutes antérieures à 1990) ne retrouvaient pas de lien entre traitement médiatique et taux de suicide. Selon Pirkis & Blood, qui s’appuient sur leur propre revue de littérature, la corrélation satisfait à suffisamment de critères pour qu’on puisse y voir un lien de causalité (9).

Bien que relativement modeste au regard des autres facteurs de risque psychosociaux et psychiatriques (10,11), la responsabilité des médias en ce qui concerne le suicide est considérée comme non négligeable. En effet, la vulnérabilité hypothétique de certains lecteurs ne semble pas être un déterminant majeur à l’effet Werther (12,13). Au contraire, les théories de l’apprentissage social laissent suggérer que certaines caractéristiques qualitatives de l’information (tant dans la forme que dans le fond) seraient plus à même d’inciter des comportements d’imitation. Les médias sont des acteurs majeurs dans la construction et l’entretien des représentations sociales. La qualité du traitement journalistique, facteur à la fois significatif et modifiable dans le risque suicidaire, mérite donc un intérêt particulier en matière de prévention.

D’autant qu’une étude, conduite par Etzersdorfer et son équipe, met en évidence qu’il est possible d’agir sur cet effet Werther. À Vienne, le nombre de suicides et de tentatives de suicide dans le métro avaient dramatiquement augmenté durant la période où les médias couvraient systématiquement ces événements. Afin de juguler cette hausse, les milieux de la prévention se sont adressés aux médias en expliquant la mécanique de l’effet Werther et en recommandant l’application des recommandations de l’OMS (en l’occurrence, ne pas médiatiser du tout afin de rompre l’association entre « métro » et « suicide »). Cette action a eu un effet radical : la réduction de la couverture médiatique des suicides dans le métro viennois a permis une réduction de 75% du taux de suicide dans le métro, et, plus généralement, une baisse de 20% du taux de suicide à Vienne (14,15). Plus important encore, la diffusion itérative à échelle nationale des recommandations de l’OMS a été suivie d’une tendance à la baisse du taux global de suicide en Autriche. Cet impact positif était davantage prononcé dans les régions où les médias avaient fortement collaboré. L’effet s’avérait largement pérenne (16). Des études provenant d’Australie, de Chine, de Hong Kong, d’Allemagne et de Suisse rapportent également que les recommandations à usage des médias étaient positivement liées à la qualité du traitement médiatique du suicide. Cependant, l’efficacité de ces lignes directrices dépend du succès de leur mise en œuvre (17, 18).

L’EFFET PAPAGENO

L’existence d’un effet protecteur de certaines productions médiatiques relatives au suicide est étayée par une étude de Niederkrotenthaler et de son équipe. Les auteurs ont trouvé que les articles mettant l’accent sur la façon dont les individus peuvent faire face à une crise suicidaire sont associés à une diminution des taux de suicide dans la zone géographique où l’audience est la plus importante (19). Ce pouvoir protecteur des médias a été baptisé « effet Papageno » en référence à l’opéra de Mozart « La flûte enchantée », dans lequel le personnage Papageno est dissuadé de se donner la mort après qu’on lui ait rappelé les alternatives au suicide qu’il n’était plus en mesure de se souvenir. Suite à cette première étude sur l’effet Papageno, d’autres études ont identifié un effet protecteur des messages lorsque les médias relatent la capacité que peut avoir une personne à surmonter une situation de crise sans recourir à l’auto-agression grâce à des aides (20, 21). Les récits médiatiques d’espoir et de rétablissement après une crise suicidaire semblent donc avoir un effet bénéfique sur les personnes ayant des idées suicidaires (22).

En 1994, le suicide de la rock star Kurt Cobain avait immédiatement suscité des inquiétudes parmi les suicidologues. Pourtant, l’effet Werther craint ne s’est pas produit : un mois après son suicide, le taux de suicide dans la région de Seattle a même légèrement diminué alors que le nombre d’appels vers des services d’aide téléphonique a augmenté. Pour cause, les médias avaient informé sur les signes de repérage de la détresse, n’ont pas détaillé le moyen létal utilisé et ont indiqué des numéros d’aide. Ils n’ont pas glorifié son suicide, ont distingué ses talents d’artiste et ses problèmes privés de l’acte suicidaire (23).


(1) Von Goethe Jw. Die leiden des jungen Werthers
(2) Phillips Dp. The influence of suggestion on suicide: substantive and theoretical implications of the Werther effect. am sociol rev. 1974.
(3) Niederkrotenthaler T, Fu K, Yip Psf, Fong Dyt, Stack S, Cheng Q, et Al. Changes in suicide rates following media reports on celebrity suicide: a meta-analysis. j epidemiol community health. 2012 nov ; 66(11): 1037–42.
(4) Stack S. Media impacts on suicide: a quantitative review of 293 findings. soc sci q. 2000
(5) Etzersdorfer E. A dose–response relationship of imitational suicides with newspaper distribution. aust n z j psychiatry. 2001 ; 35(2): 251–251.
(6) Stack S. Media coverage as a risk factor in suicide. J epidemiol community health. 2003 ; 57(4): 238–40.
(7) Etzersdorfer E, Voracek M, Sonneck G. A dose-response relationship between imitational suicides and newspaper distribution. arch suicide res. 2004 ; 8(2): 137–45.
(8) Sisask M, Värnik A. Media roles in suicide prevention: a systematic review. int j environ res public health. 2012 jan 4 ; 9(12): 123–38.
(9) Pirkis J, Blood Rw. Suicide and the media. part i: reportage in nonfictional media. crisis. 2001 ; 22(4): 146–54.
(10) Stack S. Social correlates of suicide by age. Life span perspectives of suicide [internet]. springer; 1991 [cited 2014 apr 26]. p. 187–213.
(11) Velting Dm, Gould Ms. Suicide contagion. 1997
.
(12) Stack S. The effect of the media on suicide: the great depression. Suicide life threat behav. 1992 ; 22(2): 255–67.
(13) Pouliot l, Mishara Bl, Labelle E. The Werther effect reconsidered in light of psychological vulnerabilities: results of a pilot study. J affect disord. 2011 nov ; 134(1-3): 488–96.
(14) Etzersdorfer E, Sonneck G. Preventing suicide by influencing mass- media reporting: the viennese experience 1980-1996. arch suicide res. 1998 ; 4(1): 64-74.(15) Sonneck G, Etzersdorfer E, Nagel Kuess S. imitative suicide on the viennese subway. soc sci med. 1994 ; 38(3): 453-7.
(16) Niederkrotenthaler T, Sonneck G. Assessing the impact of media guidelines for reporting on suicides in Austria: interrupted time series analysis. aust n z j psychiatry. 2007 ; 41(5): 419-28.
(17) Stack S, Niederkrotenthaler T, editors. Media and suicide: international perspectives on research, theory & policy. Piscataway (nj): transaction publishers; 2017.
(18) Tatum pt, Canetto ss, Slater Md. Suicide coverage in u.s. newspapers following the publication of the media guidelines. suicide life threat behav. 2010 ; 40: 525-35.
(19) Niederkrotenthaler T, Voracek M, Herberth A, Till B, Strauss M, Etzersdorfer E et Al. Role of media reports in completed and prevented suicide – Werther v. Papageno effects. br j psychiatry. 2010 ; 197: 234–43.
(20) Till B, Strauss M, Sonneck G, Niederkrotenthaler T. Determining the effects of films with suicidal content: a laboratory experiment. BJ psychiatry. 2015 ; 207(1): 72-8.
(21) Till B, Tran U, Voracek M, Niederkrotenthaler T. Papageno vs. Werther effect online: randomized controlled trial of beneficial and harmful impacts of educative suicide prevention websites.
BJ psychiatry. 2017.
(22) Niederkrotenthaler T. and al. Effects of media stories of hope and recovery on suicidal ideation and help-seeking attitudes and intentions: systematic review and meta-analysis. Lancet Public Health. 2022 Feb;7(2):e156-e168.
(23) Jobes D. et.al. The Kurt Cobain Suicide Crisis: Perspectives from Research, Public Health, and the News Media. Suicide and Life-Threatening Behavior. 1996 ; 26(3) : 260-271

Les profils concernés