La représentation du suicide dans les drames télévisés, les films et le théâtre est largement répandue au niveau international. Elle a d’ailleurs évolué avec le temps : la description de l’acte de suicide devient de plus en plus longue, plus scénarisée et plus sensationnaliste. Les représentations sont également plus susceptibles de comporter des scènes de suicide par arme à feu ou ont tendance à être davantage romancées, glorifiées et banalisées. Les jeunes sont aussi surreprésentés dans les fictions présentant des scènes de suicide.
Des preuves scientifiques suggèrent cependant que cette représentation dramatique peut avoir un impact sur les publics vulnérables, notamment par une augmentation du nombre de suicides par effet d’imitation ou au contraire une réduction de passage à l’acte par la recherche de soutien approprié.
Till (Till, 2013 ; Till, 2015) a en effet montré que les spectateurs de films présentant des scènes de suicides étaient significativement plus tristes et plus déprimés après la visualisation. L’humeur était significativement plus basse sur les échelles de dépression. De plus, ceux qui exprimaient une suicidalité plus élevée que la moyenne avant le film présentaient une suicidalité encore plus importante ensuite. Cette dynamique est possiblement en lien avec la notion de « coupure émotionnelle » peu efficace, sans mise à distance, chez les personnes préalablement suicidaires et placées face à une situation dramatique.
Ces recherches suggèrent un lien par effet d’imitation des représentations de suicide sur le comportement suicidaire réel des spectateurs. La majorité des études ont démontré que les taux de suicide aboutis et de tentatives de suicide montent en flèche après diffusion de ces fictions. Cependant, la plupart des études dans ce domaine ont davantage mis l’accent sur le risque de contagion plutôt que sur l’effet préventif. Il faut en effet rappeler que la littérature concernant la couverture médiatique du suicide est bien moins consensuelle pour les fictions qu’en ce qui concerne les fait divers réels.
Il existe notamment quelques exemples de séries télévisuelles dont la diffusion a été associée à un effet incitatif. En Allemagne, les taux de mortalité par suicide chez les adolescents et les jeunes adultes ont connu une augmentation significative dans les deux mois qui ont suivi la diffusion de la série « Mort d’un étudiant« . Cette recrudescence concernait surtout les suicides sur les rails, tels que celui dépeint dans la fiction (1). En Grande-Bretagne, après qu’un célèbre soap opéra britannique a diffusé la tentative de suicide médicamenteuse de l’un de ses personnages, le nombre d’ingestions médicamenteuses volontaires a subséquemment augmenté dans la population (2). Toutefois, il faut également reconnaître qu’au regard de l’abondance des Media effect studies, ces exemples demeurent particulièrement rares. Le domaine d’étude qui s’intéresse aux conséquences de la diffusion d’un suicide fictif reste encore pauvre et souffre d’un manque de rigueur méthodologique (3). À titre d’exemple, toutes les études aujourd’hui disponibles en la matière sont menées à l’échelle populationnelle. Aucune n’est donc en mesure d’établir un lien formel entre l’exposition des jeunes au film, à la série ou à la pièce de théâtre et leurs passages à l’acte. Par ailleurs, les hypothèses de recherches tendent à considérer l’effet de contagion comme un processus univoque. Aucune étude ne s’est donc non plus intéressée au potentiel effet de promotion du recours aux soins qu’auraient pu avoir en parallèle les fictions en question.
La parution de la série « 13 reasons why » en 2016 a d’ailleurs réactivé ce débat. À la suite de la diffusion de la série, les mots-clefs portant sur le mot « suicide », recherchés sur différents moteurs de recherche, ont en effet statistiquement augmentés. L’inquiétude est montée au point qu’un appel à la nécessaire « démonstration impérative par les producteurs d’une prise de responsabilité éthique et sociale » a été réclamée par des acteurs de la prévention (4). Cependant, les recherches sur internet portant sur le mot « prévention du suicide » ont également statistiquement augmenté. C’est dire le paradoxe. Certes, de nombreux critères favorisant une potentielle identification des spectateurs à l’héroïne principale sont retrouvés (narration sous forme de journal intime, âge et problématiques similaires, etc.). Rien n’indique pourtant que la tension induite pourrait provoquer l’adoption d’idées suicidaires : au contraire, de multiples paramètres peuvent être relevés, au fil de la série, qui indiquent combien le personnage aurait voulu échapper à cette trajectoire (par exemple, l’aide souhaitée par ses proches). Pour mettre un terme à cette polémique, les producteurs ont inséré des ressources d’aide téléphonique dans chaque épisode de la seconde saison.
Pour toutes ces raisons évoquées, l’Organisation Mondiale de la Santé a édité des recommandations à destination des cinéastes et autres personnes impliquées dans la création, le développement et la production de contenu pour écran (par exemple, films, séries, programmes télévisés) ou sur scène (par exemple, productions théâtrales). Elles visent à maximiser l’impact positif que peuvent avoir les représentations du suicide, tout en minimisant les éventuels impacts négatifs, en particulier chez les personnes vulnérables. De plus, si les représentations du suicide ne représentent pas fidèlement la réalité, elles peuvent contribuer à une mauvaise compréhension du public sur la nature du suicide, alimenter les mythes et entraver une prévention efficace du suicide. Les représentations axées sur la résolution d’une crise suicidaire peuvent, au contraire, réduire le risque de suicide chez les spectateurs.
(1) Ostroff RB, Behrends RW, Lee K, Oliphant J. Adolescent suicides modeled after television movie. Am J Psychiatry. 1985 Aug;142(8):989
(2) Sandler D, Connell P, Welsh K, Daniels RG. Emotional crises imitating television. The Lancet. 1986 ; 327(8485) : 856.)
(3) Pirkis J, Blood RW. Suicide and the news and information media. A critical review. Mind Frame Media. 2010 Feb
(4) Ayers, 2017