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L’histoire de Nankuranaisa

Mon histoire familiale est marquée par le suicide. Avéré, probable ou tenté. J’ai fait avec cette idée que la mort pouvait être un choix et même une solution et que cela faisait partie de la vie. Je n’en ai pas souffert. Ou plutôt j’ai « coupé » avec toute cette souffrance.

Jusqu’au jour où, à mon 36 ème anniversaire j’ai réalisé que ces idées étaient encore là. Qu’elles avaient toujours été là. Que j’étais arrivé là et qu’en fait je n’avais aucune idée de quand la mort surviendrait. Que si je l’attendais et qu’elle ne venait pas d’elle même, alors je devais ré-interroger cette possibilité qu’ont les hommes de se la donner.

Cela fut un engrenage très rapide. La question des origines de ces pensées morbides est revenue, j’ai creusé et me suis pour la première fois interrogé sur ma propre histoire et tenté de recomposer le mystère familial entretenu par les non-dits des uns et des autres.

Pour moi le suicide c’était avant tout celui de mon père juste avant mes 8 ans. Survenu en début d’été on nous a dit que nous étions trop petits pour ces questions là et nous sommes donc partis en colonie dans la foulée. Il était « malade » nous a-t-on dit. En tout cas nous savions déjà qu’il était en grande souffrance psychique, sans que personne n’ai besoin d’en dire quoi que ce soit. Presque 30 ans après j’ai appris les détails, sa maladie mentale, sa date de mort, celle de l’enterrement, et un peu le déroulé de sa vie.

Côté maternel aussi il semblait que papi s’était suicidé. Mais la succession de versions différentes entretenaient le flou et je n’avais jamais vraiment voulu savoir. 30 ans après, oui, il s’est suicidé lui aussi. Allez savoir pourquoi… a cause de sa femme disent ses enfants. A cause de nous dit sa femme. Toujours est-il que seul lui le sait.

Puis c’est mon oncle, côté maternel, qui n’aurait peut-être pas eu un accident mais aurait provoqué sa propre mort. Là encore on ne saura pas. Mon grand-oncle, côté paternel aussi. 4 méthodes différentes. Ma mère et ma soeur ont elles optées pour la même méthode que mon père. Avec heureusement un dénouement plus heureux, malgré plusieurs tentatives. De ça je m’en souviens, pas comme d’une honte, mais d’une colère. Colère contre ma mère qui était prête à nous laisser seuls et colère contre moi-même, incapable de protéger ma petite sœur contre elle-même.

Jamais l’idée de mon propre suicide m’effleurait alors. Je ne ferais pas comme eux. Et je ne comprenais pas ce qui les conduisait là. 30 ans plus tard, les choses sont différentes. La brèche fut ouverte, les différents traumatismes de mon passé sont tous remonté en même temps. M’ont submergés, ont détruit tout ce que j’avais péniblement construit : mon ego, mon couple, ma vie sociale. J’ai tout perdu en l’espace de quelques semaines car ces idées, ces souvenirs, jamais travaillés, jamais exprimés, étaient devenu destructeurs.

Le travail thérapeutique m’a bouleversé. La vie était devenue insupportable. Uniquement source de souffrance. Et malheureusement ma propre souffrance était capable de faire souffrir ceux qui étaient attachés à moi. La mort redevenait la solution. Et comme elle ne semblait pas prête à venir d’elle même, autant la provoquer.

Le seul moyen d’apaiser ces idées incessantes, cette souffrance psychique intense, était de penser à l’apaisement de la mort, élaborer ma mort, l’organiser. Alors j’ai compris mon père, j’ai compris tous ceux qui étaient passés à l’acte. J’ai compris qu’il ne s’agissait nullement de lâcheté, d’égoïsme ou de faiblesse. Mais j’ai aussi réalisé le mal que ces morts avaient provoqué en moi. Le mal supplémentaire que je risquais de provoquer autour, chez mon frère, ma soeur, leurs enfants. Leurs interrogations, leur éventuel culpabilité, leur incompréhension. Je leur voulait de me priver de cette option. J’en voulais à tous ces gens à qui il était impossible d’en parler car personne ne comprenait.

J’ai vu des psychologues, des psychiatres, j’ai refusé l’aide médicamenteuse en promettant de ne pas passer à l’acte. Je regrettais presque de leur en parler, tellement la plupart ne semblait pas pleinement comprendre et certaines réponses paraissaient absurdes.

J’ai progressivement compris le concept de suicidabilité, pourquoi j’étais plus susceptible de passer à l’acte. Et plus je lisais sur la question, moins j’avais envie de leur donner raison. J’aurai aimé être accompagné autour de ces questions aux premiers moments où elles se posaient. Pas « faire avec » tout seul pendant 30 ans pour qu’elles reviennent plus tard de façon si violente.

Aujourd’hui, comme pendant plus de 30 ans, je sais que je ne vais pas me suicider. Je vais vivre avec ma souffrance, m’efforcer de ne pas en porter d’autres, de ne pas en créer d’autres. Je ne porterai aucun jugement sur celles et ceux ayant fait ce choix. Ne rejetterai jamais ceux qui disent y penser. Ne prétendrai jamais les comprendre. Mais serai disponible pour écouter et éventuellement partager ma propre expérience si cela peut aider.

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