logo Papageno
Menu
AccueilBlogConsidérations sur l'emploi du terme "suicide assisté"

Considérations sur l’emploi du terme « suicide assisté »

Partager l'article

Saisissant l’opportunité du débat actuel qui nous anime, l’équipe du programme Papageno souhaite apporter ses réflexions et son inquiétude quant à l’institutionnalisation du terme suicide assisté.

Le suicide – du latin « suicidium » est un terme composé du préfixe « sui » signifiant « soi », et du verbe « caedere » signifiant « tuer ». C’est l’acte de mettre fin à sa propre vie.
Bien que la terminologie de « suicide assisté » pour définir un geste auto-administré dans un cadre médical soit factuellement et étymologiquement exacte, nous tenions à vous alerter sur ses possibles conséquences en matière de prévention du suicide.

La crise suicidaire, un processus réversible

Chez une personne présentant une vulnérabilité préalable, l’accumulation d’événements douloureux peut générer un niveau de souffrance intense qui finit par dépasser les capacités d’adaptation et par devenir insoutenable : les idées suicidaires émergent. Lorsque le niveau de souffrance devient critique, un dernier événement peut déclencher le passage à l’acte suicidaire.

Le fait que certaines personnes soient plus à risque de suicide que d’autres s’explique notamment par la notion de vulnérabilité. La vulnérabilité d’une personne dépend de facteurs que l’on hérite de nos parents, d’éventuels problèmes survenus autour de notre naissance, d’événements de vie difficiles au cours de notre enfance et de notre adolescence ou encore de la présence d’un trouble de santé mentale.

L’envahissement par la détresse tend à paralyser les capacités de réflexion de la personne, à biaiser sa vision du monde et à altérer son jugement. Plus la détresse augmente, plus la personne devient aveugle aux solutions qui permettraient de l’apaiser (et qui, le plus souvent, existent bel et bien), et plus la mort apparaît comme l’unique option pour la soulager. Les tentatives de suicide et le suicide procèdent de ce paradoxe : mourir pour ne plus souffrir.

Cette conception ouvre la voie à un ensemble d’interventions de soutien qui peuvent permettre de réduire le degré de souffrance et d’enrayer le cercle vicieux. Avec de l’aide et un accompagnement approprié, il est possible de trouver des ressources auxquelles on n’avait pas encore pensé jusqu’à présent.

Ce processus n’est donc pas irréversible ; on peut sortir d’une crise suicidaire à tout moment.

La question de la liberté et du choix

Comme pour tout sujet social, tenter de répondre à la question de disposer librement de sa mort et d’en choisir le moment en appelle à des réflexions d’ordre philosophique, éthique, théologique, historique, etc. Par nature, elle ne trouverait pas de réponse consensuelle. Pour être opérationnelle, la prévention du suicide doit pouvoir mettre en suspens ces interrogations et se focaliser sur la notion de souffrance qui le caractérise.

Les pensées et passages à l’acte suicidaires résultent presque toujours d’une souffrance d’une intensité telle qu’elle en devient insupportable. Parce qu’il est la seule option pour échapper à la souffrance lorsque toutes les autres solutions deviennent inapparentes aux yeux de la personne, le suicide résulte donc plus d’un non-choix que d’un choix. Il s’agit plus d’une aliénation à soi et à sa souffrance que d’une liberté.

La représentation d’un acte de courage

Certaines représentations erronées véhiculent l’idée que le suicide est l’aboutissement digne, courageux et romantique de toute une vie. Cette perception valide notamment le fait que la vie des seniors ne mérite pas d’être vécue et que les pensées suicidaires chez une personne âgée sont le fruit d’une réflexion rationnelle, en raison des idées reçues souvent véhiculées dans les articles sur le suicide assisté.

Lorsque de tels points de vue sont diffusés dans les médias au sujet du suicide assisté, il convient de s’interroger sur le message implicitement renvoyé sur le suicide au sens large.

Un effet Werther possible

En raison de la place importante du débat sur le suicide assisté dans les médias, nous pouvons nous inquiéter des valeurs positives (dignité et auto-détermination notamment) qui y sont fréquemment associées et de l’influence qu’elles peuvent avoir tant sur les personnes âgées que sur les plus jeunes.

Au milieu des années 90, dans le canton de Bâle, la médiatisation du suicide assisté d’un couple de notables de la région a marqué les esprits et a été suivie d’une explosion des demandes d’aide au suicide auprès d’Exit (1). En partant de ce cas particulier, des chercheurs ont mis en évidence les caractéristiques des articles relatant ce double suicide et ont pu identifier plusieurs aspects problématiques au regard des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé pour réduire l’effet Werther. Aucune des publications ne présentait de solutions alternatives au suicide : ce geste était présenté comme la décision de personnes déterminées, et le fait de mourir pour «rester ensemble» était largement mis en avant et valorisé. Certains articles ont aussi mis l’accent sur la «paisibilité» des personnes avant d’effectuer leur suicide, renforçant davantage une vision positive de ce geste.

En comparant les chiffres du suicide assisté dans la région avant et après la diffusion de ces articles, on constate que les suicides réalisés par Exit ont quadruplé, passant de 7 à 28. Difficile de prouver que toutes les personnes concernées ont lu les articles en question, mais un collaborateur d’Exit a confirmé qu’une femme avait motivé sa demande en mentionnant explicitement le suicide du couple. Dans sa lettre de suicide (non-assisté), une autre femme dont le mari venait de décéder de maladie y a également fait référence.

Dans les 2 ans qui ont suivi la médiatisation de ce double suicide, il y a eu 29 suicides de plus par rapport aux 2 années précédentes, dont 28 effectués par Exit. L’étude conclut donc à un effet Werther provoqué par les articles sur le suicide du couple bâlois.

Conclusion : une confusion de terme qui engendre une confusion de concept

Pour ces raisons, il serait regrettable que soit institutionnalisé le terme de « suicide assisté » en France car il apporterait une réelle confusion entre l’accompagnement dans la mort lors d’une circonstance terminale et la crise suicidaire qui n’a rien d’une fatalité.

Puisque le suicide est un processus réversible, son utilisation dans le cadre de l’accompagnement de la fin de vie, vient brouiller les efforts de prévention et risque même d’entraîner une augmentation du nombre de décès par suicide. Notamment en niant le fait que le geste suicidaire résulte d’un non-choix et qu’il existe des aides disponibles pour apaiser la souffrance et les pensées suicidaires.


(1) Frei et. al. The Werther Effect and Assisted Suicide. Suicide and Life-Threatening Behavior, 2003 : 33(2), 192-200