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Harcèlement et suicide : des liaisons dangereuses ?

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Chaque année, selon les données officielles, entre 700 000 et 1 million de jeunes sont victimes de harcèlement scolaire en France. Si le sujet est préoccupant, il n’est jamais mis autant en lumière qu’à la faveur d’une issue fatale : celle du suicide d’une victime.

Les médias se sont tous emparés du sujet ces derniers mois. Les prénoms et les photos des victimes font le Une, des jour durant, ainsi que les témoignages de leurs proches endeuillés.

Le plus souvent, le harcèlement est évoqué à l’occasion d’un suicide dont il est supposé avoir été la cause. Si ce lien de causalité directe peut concourir à un effet Werther, le traitement médiatique actuel pose d’autres questions déontologiques auxquelles il n’est pas simple de répondre : devoir d’information, sentiment d’urgence à agir, à dénoncer, responsabilité…

Que l’on soit professionnel.le des médias ou préventeur du suicide, il est important de nous questionner sur nos pratiques. Et le contexte actuel nous appelle à une exigence supplémentaire.

Pourquoi nous en inquiétons-nous au sein du programme Papageno ? Si la mobilisation en faveur de la prévention du suicide et de la dénonciation du harcèlement est une priorité, il n’en demeure pas moins que le spectre d’un effet Werther est bien présent.

Comment ? Voici quelques éléments de réponse en lien avec les recommandations éditées par l’OMS sur la couverture médiatique du suicide :

  1. Une surexposition médiatique sur le long terme qui génère un sentiment de fatalité. La couverture médiatique actuelle des suicides peut conduire à une normalisation du suicide comme moyen « acceptable » de faire face aux difficultés. Nous reprendrons ici les propos de la sociologue de l’éducation et du numérique, Margot Déage : « la surexposition des cas de harcèlement qui ont mené au suicide, par rapport aux autres cas, peut donner à certains et certaines victumes l’impression que le suicide est la seule issue possible, pouvant précipiter des suicides par mimétisme ».
  2. Un lien de causalité direct qui nuit aux efforts de prévention. Car rappelons-le, le suicide n’est jamais le résultat d’une cause unique. Il est la résultante d’un parcours de vie dans lequel les situations vécues de harcèlement pèsent lourd. Si le suicide se produit dans un contexte de harcèlement, toute situation de harcèlement ne conduit pas au suicide. Agir sur le harcèlement et accompagner la période de crise suicidaire c’est se donner les moyens de soulager la souffrance. Pour ce faire, il convient de rappeler en permanence qu’il existe des solutions et notamment des numéros de téléphone gratuits, anonymes ou confidentiels : le 3020 (harcèlement à l’école), le 3018 (cyber harcèlement) et le 3114 (prévention du suicide).
  3. L’évocation du moyen létal, que ce soit à l’écrit ou pour nourrir des iconographies en illustration du sujet. Or, toute représentation d’une méthode de suicide dans les médias (par les mots ou par l’image), fournit des renseignements qui peuvent influencer le scénario des personnes en situation de vulnérabilité, par effet de mimétisme.

Si le suicide demeure un geste létal face à une souffrance ultime, on ne peut nier le poids de la part sociale dans cette souffrance. Tant individuellement – et les témoignages de victime le retranscrivent avec détails – que collectivement. Le sentiment d’une perte de sens dans l’institution et de confiance dans les adultes figurant parmi les facteurs de risque suicidaire, il convient d’apporter une vigilance accrue aux victimes et davantage encore dans le contexte actuel.

C’est pourquoi, nous recommandons de contre-balancer les faits par :

  • Le rappel que des solutions existent notamment celles mentionnées précédemment : le 3020 (harcèlement à l’école), le 3018 (cyber harcèlement) et le 3114 (prévention du suicide). En effet, citer un dispositif d’aide élargit le champ des possible en cas de désespoir et ouvre la voie à un soutien immédiat aux personnes en détresse.
  • Des témoignages de rétablissement après des vécus de harcèlement tels que ceux d’Anne-Liz Deba (créatrice du podcast Smile et intervenante en milieu scolaire) et d’Elian Potier (président de l’association Urgence harcèlement).

Sources :
Association between suicide reporting in the media and suicide: systematic review and meta-analysis. BMJ 2020;368:m575
Effects of media stories of hope and recovery on suicidal ideation and help-seeking attitudes and intentions: systematic review and meta-analysis. Lancet Public Health. 2022 Feb;7(2):e156-e168.